Le service TinEye (http://goo.gl/GJlo2) de la société canadienne Idée était
depuis 2008 le seul outil gratuit permettant d’effectuer des recherches
inversées d’images.
La nouvelle fonctionnalité
Search by Image [SbI dans la suite de ce billet] proposée récemment par Google
Images (voir p.7) porte désormais ce type de recherche à une échelle bien plus
vaste. Cette nouveauté a d’ailleurs été accueillie sportivement mais avec un
peu d’inquiétude par TinEye (//goo.gl/E1Vtp).
La base de TinEye
référence des images ajoutées par un robot crawlant le Web. Mais elle contient
également des images provenant de contributeurs partenaires tels que
GettyImages, iStockphoto, Photoshelter, etc. Il s’agit là d’un point fort du
service, puisque ces collections intégrées constituent une partie organisée et
contrôlée de la base indexée permettant, à l’aide du moteur, d’identifier
parfois l’origine probable d’une image utilisée sur le Web.
Cependant, bien que TinEye
revendique deux milliards d’images indexées, sa base demeure peu volumineuse par
rapport à celle du mastodonte Google Images. Et surtout, l’utilisateur ne peut
effectuer qu’un nombre limité de recherches : 50 dans une même journée et 150
par semaine. Pour s’affranchir de cette limitation, il doit souscrire un
abonnement commercial qui autorise aussi l’automatisation des recherches à
l’aide de l’API du système.
Le service gratuit et
grand public de TinEye apparaît donc comme un produit d’appel – au demeurant
fort utile – qui permet à la société Idée de proposer ensuite une offre commerciale,
comme il en existe d’autres réservées au monde professionnel [1].
Google SbI quant à lui
opère sur une base d’images bien plus grande que TinEye et n’impose pas de
limite dans le temps au nombre de recherches effectuées.
Par contre, toutes les
images retrouvées proviennent du crawling réalisé par les robots du moteur.
Aucune image indexée n’a été préalablement sélectionnée et éditorialisée dans
une collection fournie par un prestataire quelconque. Ces différences majeures
conduisent donc à considérer que pour un utilisateur «lambda» n’ayant pas
investi dans un service professionnel, TinEye et Google SbI sont
complémentaires plutôt que concurrents.
ANALYSER L’UTILISATION DES
PHOTOS DU STOCK
Jusqu’à l’apparition de
Google SbI, seules des recherches inversées très ponctuelles étaient possibles
à l’aide de TinEye ; il n’était guère envisageable de réaliser une analyse
exhaustive des images utilisées sur un site complet, sauf à acquérir une
licence d’un logiciel professionnel (et encore…).
La conjugaison des deux
services permet dorénavant de conduire rapidement des études intéressantes sur
les utilisations des photos de stocks par les sites d’entreprises ou
institutionnels. Voici quelques exemples.
Soit le site daucy.fr, d’une marque bien connue sur le marché des légumes
en conserve[2].
Une analyse globale de ce
site permet d’identifier 627 images différentes réparties ainsi :
- 352 photos de produits
comportant le nom de la marque ;
- 68 images «de service»
(boutons, lignes, signes graphiques divers) ;
- 207 photos
d’illustration choisies d’après le contexte de la page où elles apparaissent,
mais qui ne comportent pas le nom de la marque.
La méthodologie suivie
pour repérer les images de stock utilisées est simple. Elle ne concerne bien évidemment que la dernière
catégorie d’images. Deux «filtres» successifs sont mis en œuvre. Il s’agit
d’analyser d’abord chacune de ces 207 photos à l’aide de Google SbI. Ensuite,
les photos qui ne paraissent pas issues de banques de stock selon ce premier crible
sont analysées à l’aide de TinEye.
Le procédé permet de
repérer rapidement 106 photos clairement issues de banques de stock et 101
photos qui, selon nos deux logiciels détectives, sont inconnues ailleurs que
sur daucy.fr. Mais cette répartition presque exactement à parts égales ne
constitue en fait qu’une limite basse pour les photos de stock. Tout d’abord,
le service TinEye n’a pu être utilisé dans cette expérience sur toutes les
images que nous souhaitions analyser, en raison des limitations temporelles
expliquées ci-dessus.
Ensuite, le fait qu’une
image ne soit pas reconnue dans les index de Google SbI et TinEye ne signifie
pas qu’elle ne provient pas d’une banque de stock. C’est ainsi que les
nombreuses photos de recettes (//goo.gl/Iy8Ov) qui figurent sur le site en
question proviennent presque certainement toutes de microstocks ou de banques
généralistes ou spécialisées dans le culinaire[3], et qui demeurent à l’écart
des crawlers des deux services. Au final donc, seule une poignée de photos d’illustration
de ce site ont été réalisées expressément pour le commanditaire. La plupart des
images où ne figurent pas le nom de la marque n’ont aucun lien avec la réalité
de l’entreprise. Ce sont des images décoratives composées a priori et partagées
par de nombreux autres sites.
On rétorquera sans doute
que ce phénomène d’utilisation massive des images de stock est bien connu.
Certes, mais il est
désormais possible de quantifier précisément le ratio entre photos de stock et
photos originales utilisées sur un site. Et pour les raisons qui viennent
d’être données, ce ratio sur lequel les studios graphiques ne communiquent
pratiquement jamais est toujours plus élevé que celui établi par
l’investigation réalisable maintenant avec la recherche inversée.
Cette possibilité
d’analyse et de quantification d’une pratique très répandue est certainement
nouvelle. On peut cependant aller plus loin en examinant plus précisément la
nature de ces images partagées et détecter ainsi quelques utilisations
curieuses ou même problématiques des photos de stock.
Examinons par exemple la
page intitulée “Les légumes : indispensables pour un repas équilibré“
(//goo.gl/Y6x0q).
Les trois images sont des
photos de stock provenant des banques Getty Images (http://goo.gl/xoXXo) et iStockphoto
(//goo.gl/dm5WG et //goo.gl/ynbWp), et elles sont utilisées sur de nombreux
sites variés comme on peut s’en rendre compte à l’aide des requêtes suivantes
sur Google SbI: //goo.gl/9YmYs, //goo.gl/VU6xB et //goo.gl/zURpu.
En fait presque toutes les
photos de légumes frais qui figurent sur ce site proviennent de stocks et un
esprit un peu taquin pourrait penser que la marque préfère présenter ces belles
images de produits appétissants plutôt que les légumes qu’elle utilise
réellement [4].
Mais après tout, une
carotte est toujours une carotte et l’on peut estimer que ces images qui se
retrouvent dans d’autres contextes que celui de l’entreprise n’ont pas grande
importance.
L’usage de photos
passe-partout devient par contre plus problématique quand il s’agit d’images de
personnes. Examinons maintenant la page «Dans les ateliers de production»
(//goo.gl/UkCzT).
En un clic
(//goo.gl/W0r0v), on s’aperçoit que la jeune femme en blanc qui illustre le
paragraphe «Qualité» travaille aussi dans un laboratoire vétérinaire, dans le
secteur pharmaceutique, dans le contrôle qualité, dans un laboratoire
d’investigation criminelle, etc. Et toutes ces activités concomitantes se
déroulent en Asie, en Europe, aux États-Unis.
Un autre clic
(//goo.gl/uNwvO) nous apprend que la chercheuse en petits pois du second
paragraphe est aussi secrétaire dans une agence du Crédit Agricole, teste des
produits médicaux, participe au denier du culte en Allemagne, sans oublier
qu’elle a aussi une carrière bien remplie d’astrologue.
La tromperie peut être
encore plus flagrante.
Pour ce dernier exemple,
quittons nos légumes et observons le site de la très sérieuse Fédération
Bancaire Française, sur sa page «Découvrez les métiers de la banque»
(//goo.gl/ql0fI).
Lorsque l’on clique sur
l’un des métiers mentionnés en lien, une fiche descriptive apparaît, souvent
terminée par un témoignage. Tous les portraits qui accompagnent ces témoignages
sont factices. Ce sont des photos de stock.
Ainsi, Olivier, trader à
Paris (//goo.gl/p4OG9) poursuit de multiples carrières aux quatre coins du
monde (http://goo.gl/wJKTq) et Étienne, juriste en banque de détail
(//goo.gl/NzXM4) n’en finit pas de se démultiplier pour satisfaire tous ses
brillants employeurs (http://goo.gl/qxugR).
Ces pratiques que l’on
aurait pu croire réservées aux pires sites de rencontre passaient auparavant
facilement inaperçues. L’honorable institution qu’est la FBF est pourtant bien
coupable de bidonnages, moins spectaculaires mais aussi intéressants que celui
qui vient de se dérouler sur TF1 (//goo.gl/C9OTm).
Les professionnels de la
photographie ont en général bien accueilli Google SbI. Ils voient dans cette
fonctionnalité une aide à l’identification des usages illicites des photos.
Mais au delà de cette
«chasse aux photos volées», les services de recherche inversée constituent
aussi des outils fort utiles pour l’amélioration des usages iconographiques.
Les directeurs artistiques
doivent devenir extrêmement attentifs lorsqu’ils choisissent des images.
Il est indispensable
qu’ils identifient systématiquement les usages passés éventuels d’une photo qui
retient leur attention. Les agences peuvent aussi mettre en évidence auprès de
leurs clients les effets pervers de la concentration et de l’assèchement des
sources d’images. Les photographes enfin disposent avec ces outils d’un moyen
d’influencer leurs commanditaires, afin de mettre en avant leurs images
personnalisées et créatives.
[1] En France, le service
professionnel le plus connu est PixTrakk (http://goo.gl/CxDZ7), développé
conjointement par LTU Technologies, PixWays, et TNS Media Intelligence.
[2] Ce choix est presque
totalement arbitraire. Un seule critère est ici important : afin que l’analyse
décrite ci-dessous ne demande pas trop de temps tout en demeurant significative,
le site devait contenir entre 500 et 1000 images environ. Il convient aussi de
préciser que la marque possède d’autres sites: daucyfoodservices.com,
daucyculture.fr, daucy.com, daucykid.com.
[3]On peut citer par
exemple StockFood (//goo.gl/4ifg3) et Option Photo (//goo.gl/YfNKd)
[4] Il en est de même bien
sûr chez ses concurrents comme on peut s’en assurer en lançant des recherches
Google SbI sur chacune des images de légumes qui figurent dans les pages de
cette liste (http://goo.gl/558u4).
L’AUTEUR
Ancien professeur de
mathématiques, Patrick Peccatte a travaillé dans l'informatique documentaire et
la presse. Depuis quelques années, il a développé sa propre structure Soft
Experience, où il travaille essentiellement sur les technologies XML appliquées
aux domaines du texte et de l'image numérique.
Il s'intéresse
particulièrement à la philosophie analytique, à la philosophie de l'information
et aux études visuelles.
L’article «Du bon usage
des photos de stocks» a été publié initialement sur le site
Culturevisuelle.org.
(//goo.gl/7jXua)
Patrick Peccatte
Publié dans le n° 92 de Netsources (Mai/Juin 2011)
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