Le nouveau terrain d’affrontement des moteurs de recherche serait-il le Web
social ?
La montée en puissance des réseaux sociaux pourrait en
effet constituer une opportunité, mais aussi une menace pour les moteurs
classiques. Les chiffres sont éloquents et le succès planétaire : Facebook
annonce à ce jour plus de 700 millions d’inscrits, Twitter vient de passer la barre
des 200 millions…
Des milliers de sites ont
intégré des boutons destinés à partager des contenus, comme le bouton «J’aime»
de Facebook, ou des plugins sociaux.
Mais si Google s’est imposé depuis plus de douze ans comme
le leader de la recherche web, le géant de Mountain View a, du propre aveu de
ses dirigeants, échoué dans ses
tentatives de conquête du Web social.
Facebook de son côté
domine cet univers du lien, de la recommandation et du partage d’informations.
Comme le soulignait
récemment Jacques Attali, «doit-on prédire qu’à l’avenir, Google gérera notre
quotidien solitaire et Facebook nos relations avec les
autres ? Serons-nous une juxtaposition d’autistes ou les membres
d’une infinité de tribus ?»[1].
Dans le même temps, la
physionomie du Web ne cesse d’évoluer.
Le magazine Wired annonçait en août
2010 rien moins que la mort du Web ... tout en prédisant une longue vie à
l’Internet.
L’univers d’Internet est
en effet en constante expansion et comprend, outre le Web, les plateformes de
streaming, de peer to peer, et surtout les nombreuses applications destinées
aux smartphones ou tablettes numériques.
Dans ce contexte, la
situation actuelle de surabondance informationnelle va faire émerger de
nouveaux modèles d’accès à l’information, basés moins sur la dimension
technique que sur la dimension sociale.
Face à de nouveaux
entrants comme Facebook ou Twitter, les moteurs classiques réagissent en
investissant de plus en plus la «recherche sociale». La vague d’annonces
effectuée tout récemment par Bing et Google témoigne de l’effervescence dans ce
domaine.
Pour autant cette
notion de «recherche sociale», comme
tout nouveau concept, est parfois un peu floue. S’agit-il de l’utilisation des
moteurs de recherche classiques appliquée à un corpus de contenus publiés par
les internautes du monde entier sur les médias sociaux ? Ou bien ce
concept désigne-t-il un mode de recherche basé sur des usages sociaux, comme la
recommandation, le filtrage collaboratif, la géolocalisation, l’exploration et
le partage de liens…
Et si ce mode de recherche
concerne plus particulièrement des applications liées à la vie quotidienne et
au «grand public», quel peut être son impact dans le contexte de
l’enseignement, de l’entreprise et a fortiori le monde des professionnels de
l’information ?
Cet article fournira
quelques éléments de réponse à ces questions cruciales pour le futur de la
recherche d’informations sur Internet.
LES PREMISSES DU «SOCIAL
SEARCH»
L’expression «social
search» est apparue vers les années 2004-2005, en lien avec la nouvelle vague
du Web social, désignée communément sous l’étiquette «Web 2.0».
Cette période voit le
développement de nouveaux contenus générés par les utilisateurs (les désormais
célèbres UGC, ou «users generated contents»), ainsi que des modes d’accès et de
diffusion basés tant sur la personnalisation (blogs, réseaux sociaux) que sur la mutualisation des
contenus (wikis, bookmarking social…).
Dans cette océan de
données, on va trouver des éléments très divers dans leurs formes et leurs
contenus : des avis de consommateurs sur des produits grand public comme
des opinions d’experts sur des sujets très techniques, des documents officiels
comme des rumeurs non vérifiées ou des «scoops», des liens vers des articles
parus dans des journaux et magazines, comme des commentaires sur toutes sortes de sujets liés à
l’actualité, des informations sur le statut des personnes, le parcours
professionnel, le CV… Bref, un patchwork d’informations sans cesse renouvelées,
souvent éphémères, parfois contradictoires, en toutes langues, et provenant de
tous pays.
Parallèlement au
développement de ces contenus sont apparus des moteurs qualifiés parfois de
«moteurs collaboratifs», voire de «moteurs humains», par opposition aux moteurs
algorithmiques.
Plusieurs versions alpha
et bêta de moteurs collaboratifs ont été expérimentées à partir du milieu des
années 2000. Parmi ces pionniers, on peut citer Mahalo, guide de recherche
alimenté par des experts et des professionnels de l’information. Chacha met en
œuvre, comme son nom l’indique, un système de chat qui met en relation plus de 15 000
internautes bénévoles spécialisés par thèmes.
Avec son slogan «Notre
moteur, c’est vous !» l’extension Yoono s’inscrit également dans la
mouvance de la recherche sociale et du partage de favoris.
Le produit est désormais disponible sous forme d’application smartphone ou
d’extension pour navigateurs, et permet de réunir plusieurs réseaux sociaux au
sein d’une même interface.
Mais l’expérimentation la
plus célèbre en matière de recherche sociale reste la solution Wikia Search,
lancée en 2008 par Jimmy Wales, l’un des fondateurs de l’encyclopédie
Wikipedia. Basé sur un moteur open source, Wikia se voulait un mélange de
moteur algorithmique et humain, respectueux de la transparence et de la vie
privée.
Tout internaute pouvait y
contribuer, notamment pour signaler et labelliser les sites web. Le modèle
collaboratif qui a si bien réussi à Wikipédia était-il appliquable à un moteur
de recherche algorithmique ? Toujours est-il que ce produit très attendu
n’a pas rencontré son public, et est devenu un site de questions-réponses en
ligne.
DU BOOKMARKING SOCIAL A LA
CURATION DE CONTENUS
Le bookmarking social
figure parmi les applications les plus caractéristiques de la recherche
sociale. Le principe est bien connu : il s’agit de partager et tagger, à
travers une plateforme dédiée, ses bookmarks ou favoris, ou tout simplement de
«piocher» dans les favoris déjà inscrits par des internautes bénévoles.
L’un des pionniers en la
matière a été Delicious, racheté en 2005 par Yahoo! et revendu tout récemment
aux fondateurs de YouTube. Si Delicious devrait être absorbé par leur société
Avos et disparaître à l’été prochain, d’autres plateformes de bookmarking
social ont depuis fait leurs preuves.
Diigo s’est imposé entre
autres auprès des étudiants et enseignants, grâce à des fonctionnalités de
partage et d’annotation de documents
texte ou image (voir Netsources n°84).
Le français Pearltrees,
apparu plus récemment (voir Netsources n°84), est doté d’une interface
graphique très riche et originale : les sites sélectionnés sont présentés
sous forme de «perles», reliées entre elles par une arborescence. Pearltrees se
positionne ainsi sur le terrain très en vogue actuellement de la «curation de
contenus».
Le principe du journalisme
de liens est également proche du
bookmarking social, de la veille et de la curation : des blogueurs ou
journalistes sélectionnent des articles ou billets pour leur pertinence ou leur
intérêt, et rassemblent les liens vers ces contenus sur des plateformes comme
Aaaliens ou Techmeme.
Dans chacun de ces exemples de sites sociaux, la valeur ajoutée
réside dans la qualité de la sélection effectuée par des humains, dans le
partage des sources, ainsi que dans l’effet de levier de la communauté.
UN REFERENCEMENT SOCIAL ?
Depuis quelques mois, les
ennemis Google et Bing rivalisent d’annonces sur le terrain du social.
Les deux moteurs proposent
des options de recherche dans les contenus des médias sociaux, sous différentes
appellations : Google temps réel (real time) ou Bing social. La rubrique
Bing Actualités commence même à intégrer des résultats venant de Twitter.
Google, de son côté,
s’intéresse depuis longtemps à la recherche communautaire et a racheté en 2010
la start-up Aadvark, service de questions/réponses en ligne. Mais ce n’est que
depuis début 2011 que Google a intégré, pour les internautes américains, la
prise en compte dans l’affichage des résultats de recherche des recommandations
de leurs amis sur Facebook ou Twitter.
Cette option est
disponible depuis fin mai en France, ainsi que dans de nombreux pays.
Microsoft, de son côté,
positionne de plus en plus son moteur Bing comme un outil d’aide à la décision
sur le Web.
Selon Microsoft en effet,
près de 90% des internautes tiennent compte de l’avis de leur entourage pour
effectuer des choix sur le Web.
Bing intègre depuis
plusieurs mois des données issues de Facebook et Twitter, suite à des accords
avec ces médias sociaux. De plus, Bing a approfondi récemment son partenariat
avec Facebook et va pouvoir indiquer, pour un site web donné, les éléments
recommandés par des amis inscrits sur le réseau social. Les boutons «Like»
devraient avoir une influence sur le classement des résultats. Google, quant à
lui, a annoncé fin mars son bouton «+1»,
équivalent du bouton «Like» de Facebook.
On voit ainsi que les
réseaux sociaux vont avoir de plus en plus un impact dans le classement des
résultats, et donc dans le référencement naturel.
DES METHODES DE «NAVIGATION
SOCIALE»
Il ne s’agit pas pour
autant d’opposer le modèle désormais classique de l’algorithme de classement
des réponses au modèle de partage de liens, le «pagerank» de Google au bouton
«Like» de Facebook. On constate plutôt l’émergence de nouveaux usages hybrides,
entre les aspects techniques et la pratique sociale.
Cette «navigation sociale»
regroupe plusieurs types de
pratiques :
- le filtrage
collaboratif : utilisé depuis longtemps par des sites de commerce
électronique, afin d’orienter le choix des clients en fonction de l’analyse des
comportements d’achats.
On retrouve ce principe
dans les nombreux sites de partage de musique : en consultant la playlist
d’un abonné, on peut découvrir par similitude de goûts de nouveaux artistes ou
genres musicaux. Peu connu en France, le «moteur de découverte» StumbleUpon
permet d’effectuer des recherches par «similarité», la ressemblance étant
calculée statistiquement à partir des usages ou bookmarks des usagers ;
- l’abonnement à des
fils twitter, comme le newsfeed de Facebook, favorisent également la
sérendipité et les découvertes, à travers le partage et les recommandations des
amis inscrits sur ces médias sociaux ;
- l’appel à la
communauté : pour répondre à une question, on fait appel à un ami… ou à un
service de questions- réponses tel que Yahoo Answers, lancé en 2005. Au-delà de la «sagesse des foules», plusieurs
bibliothèques universitaires (Rue des Facs) ou municipales (Guichets du Savoir,
à Lyon) ont mis en place un service de référence en ligne, avec capitalisation
des réponses, la réponse ne consistant pas nécessairement en un document ou une
référence bibliographique. Des expériences ont été menées autour de
l’utilisation de Twitter pour des services de référence en ligne : c’est
le cas de l’Etat du Maryland aux Etats-Unis, avec le service @Askusnow ;
- l’exploration des
liens sociaux passe par l’utilisation des
blogrolls, ou listes de liens proposées à partir d’un blog ; le
même principe s’applique aux réseaux sociaux et à la navigation de profil en
profil d’amis…
- le
crowdsourcing consiste à utiliser les connaissances d’une communauté
d’internautes pour créer des contenus, enrichir un site ou résoudre des
problèmes quotidiens ;
- la géolocalisation
rajoute de nouvelles possibilités de recherche, et d’enrichissement, entre
autres, d’avis d’utilisateurs concernant des boutiques, restaurants, etc. On
parle alors de «mobile social local search», avec des applications comme
FourSquare, Qype, Dismoiou…
QUELLE TRACABILITE ?
Cette prolifération de
sources et d’outils pose plus que jamais la question de la qualité et de la
pertinence de l’information, de la confiance que l’on peut accorder aux
sources, de la pérennité et de la traçabilité des données.
Car le maître-mot, dans la
mesure de l’efficacité d’une communauté virtuelle, demeure la confiance, principe fondateur de toute vie
sociale.
Le «référencement social»
peut donner lieu, à l’instar du référencement traditionnel, à des pratiques
d’indexation frauduleuse à partir de comptes Facebook fictifs, tout cela à des
fins de publicité déguisée ou de propagande.
L’utilisateur novice peut
parfois également être un peu «dérouté» par l’accumulation de données classées
par ordre antechronologique dans les flux : pour autant, les contenus
sociaux ont bien souvent l’avantage, par rapport aux pages web classiques,
d’être datés et taggés. C’est l’un des paradoxes de cette «redocumentarisation
du monde»…
APPLICATIONS
PROFESSIONNELLES
Les méthodes du filtrage collaboratif et de la
recommandation concernent plutôt des applications grand public.
Qu’en est-il de la
recherche dans le monde professionnel ?
Une des applications les
plus répandues concerne la surveillance
de l’e-reputation d’une personne ou d’une entreprise dans les blogs ou
médias sociaux.
Il serait un peu réducteur
de limiter la recherche sociale à ce seul aspect.
Les médias sociaux peuvent
en effet venir compléter et enrichir les sources traditionnelles dans le cadre
d’une veille technologique ou concurrentielle.
Les méthodes «sociales» en
veille technologique pourront par exemple s’appliquer au repérage de parutions
d’articles via des réseaux sociaux généralistes ou spécialisés.
La communication et la
diffusion des savoirs ne passe plus uniquement par le seul canal des publications
académiques et de la revue par les pairs.
Les chercheurs peuvent
désormais publier dans des archives ouvertes, annoter, apposer des
commentaires, et partager des liens vers ces publications dans des espaces
sociaux.
Grâce à des services comme
CiteUlike ou Connotea, on peut mutualiser des références d’articles, les noter
et les commenter. Les pages Facebook et comptes Twitter permettent aux
laboratoires ou établissements de recherche de valoriser une activité, et
d’obtenir des réactions immédiates. Faire partie d’un groupe spécialisé ou
d’une communauté sur un réseau permettra ainsi de bénéficier non seulement
d’une veille documentaire sur les parutions, mais de commentaires, débats et
réactions.
Diigo, cité plus haut,
offre la possibilité de mettre en place des groupes de veille publics ou
privés, et de créer des flux personnalisés correspondant à un ou plusieurs tags
donnés.
Qu’en est-il en veille
concurrentielle ou sectorielle, un secteur où les sources sont
traditionnellement rares et chères, et peu touché par le partage de
l’information ?
Là encore, on peut trouver
quelques services innovants, en complément des sources classiques. Roxali, par exemple, est un réseau
international de professionnels alimentant une base de connaissances. Un moteur
permet d’effectuer des recherches par secteurs et/ou par pays.
LA SERENDIPITE SOCIALE
La notion de «sérendipité
sociale» est définie par Henry Nothaft dans un article publié en novembre dernier sur le site Techcrunch[2].
Il s’agit d’une découverte de contenus à partir de ce que notre réseau d’amitié
virtuelle partage en ligne.
Les réseaux sociaux à
vocation amicale ou professionnelle vont ainsi devenir des vecteurs importants
de dissémination du savoir et des contenus. Comme l’écrit Lionel Dujol,
«L’avantage de cette sérendipité sociale est que notre environnement social a
toujours été le premier critère pour nous définir nous-mêmes et pour définir
nos intérêts.»[3]
DE NOUVEAUX USAGES DANS
L’ENTREPRISE
Les usages sociaux ne
concernent pas que la recherche sur le
Web.
Le marché des réseaux
sociaux d’entreprise commence à atteindre sa maturité, avec des solutions
dotées de fonctionnalités puissantes et évoluées.
Le cabinet Useo [4] a
publié en février dernier une étude sur les principaux outils disponibles, en
les positionnant sur deux axes : le
relationnel (création de relations entre individus et échanges de documents) et
le conversationnel (échanges d'informations, de commentaires, de liens...).
Là encore, la technologie
n’est pas tout et l’appropriation de ces réseaux par les utilisateurs sera le
meilleur gage du succès de ces outils, qui peuvent révolutionner les modes de
travail, si l’entreprise sait les utiliser en évitant le risque de désillusion.
A l’heure du cloud
computing et de l’entreprise étendue, du travail collaboratif et de la
«mobiquité», les réseaux sociaux d’entreprise devraient générer également de
nouveaux usages de la gestion et de la recherche d’information interne.
Là encore, comme dans la
recherche web, il ne s’agit pas de rechercher uniquement des documents ou des
données, mais des experts ou «apporteurs de connaissances».
Aristote n’affirmait-il
pas déjà il y a plus de deux siècles : «l’homme est un animal social». Il
faut croire que cet aphorisme s’applique désormais aux outils de
recherche !
[1] L’Express, 2 juin 2011
[2] http://goo.gl/MVFqe
[3] http://goo.gl/CWQxb
[4] http://goo.gl/iWwhg
Véronique Mesguich
Publié dans le n° 92 de Netsources (Mai/Juin 2011)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire