La veille et la recherche d’information à l’ère des « fake news » et de la désinformation

Carole Tisserand-Barthole
Netsources no
140
publié en
2019.05
2008
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fake news
La veille et la recherche d’information à l’ère des « fake ... Image 1
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Comment le phénomène des fake news et de la désinformation impacte le professionnel de l’information dans son quotidien ? Quelles sont les initiatives développées par les géants du Web, la presse, les outils de recherche professionnels et de veille classiques ou des start-ups spécialisées et en quoi cela peut-il être utile dans un contexte de veille ?

Même si la couverture médiatique dont bénéficient les fake news ou infox en français, depuis 2016 et l’élection de Donald Trump, peut donner l’impression qu’il s’agit d’une nouveauté, il s’agit en réalité d’un sujet vieux comme le monde. La désinformation et la diffusion de fausses informations se pratiquent depuis des siècles, certes à moins grande échelle et avec des modalités différentes.

Quelles sont aujourd’hui les meilleures méthodes pour évaluer l’information, leurs auteurs et ceux qui les partagent ainsi que les sources d’information ?

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Désinformation et fausses informations en 2019

Avec le développement des médias sociaux depuis une dizaine d’années, tout le monde peut publier et partager de l’information. Comme beaucoup d’avancées, cela est à double tranchant en permettant :

  • d’un côté, de faire émerger des informations, sources et acteurs qualifiés qui ne disposaient pas d’espace de parole et de visibilité par le passé ;
  • de l’autre côté, à n’importe qui de publier n’importe quoi, que cela soit volontaire ou non.

Ce qui a changé en quelques années, c’est donc le fait que le volume et la vitesse de propagation de ces infox n’a jamais été aussi important.

Et si la désinformation s’est limitée pendant longtemps aux contenus textuels puis aux contenus multimédia avec les images truquées, elle s’attaque désormais avec succès aux vidéos avec le nouveau phénomène des deep fakes (voir glossaire).

Les évolutions de la technologie rendent possible de nouvelles formes de désinformation et facilitent leur production et leur diffusion en masse.

Ainsi, plus aucun contenu n’est à l’abri d’être détourné et truqué de manière très convaincante. Il faut donc être plus prudent que jamais.

De nombreux acteurs du Web, les GAFAM en tête, mais aussi les médias traditionnels et certaines start-ups, se sont donc engouffrés sur le secteur, très porteur, de la lutte contre la désinformation. Nous aurons l’occasion d’analyser ce phénomène dans la suite de ce numéro.

Parallèlement aux fake news, on trouve également des erreurs « plus honnêtes  », à savoir involontaires par ignorance, incompréhension ou approximation, que ce soit sur le Web, dans la presse, dans des rapports, etc.

Personne, pas même les experts ou les journalistes n’est à l’abri de diffuser sans le vouloir de fausses informations.

D’autant que certains journalistes, notamment appartenant à certains types de presse, font preuve d’une certaine paresse intellectuelle en se contentant de copier-coller des communiqués, et scoops sans réelle vérification.

On rappellera que dans l’ouvrage « L’information à tout prix » publié en 2017, Julia Cagé estimait que « 64 % de ce qui est publié en ligne est du copié-collé pur et simple ». On a donc d’un côté des médias opérant une course au scoop et peu adeptes de la vérification, et de l’autre, ceux qui cherchent à redorer l’image de la profession en remettant en avant les valeurs-même du journalisme. Et ce sont ces mêmes acteurs qui développent des solutions de fact-checking ou se revendiquent du journalisme d’investigation.

La désinformation et la mésinformation appliquées à la veille et la recherche d’information

Dans quelle mesure la veille et la recherche d’information sont-elles impactées par la désinformation ?

Dans un contexte de veille con­currentielle, stratégique, scientifique ou technique, on peut avoir le sentiment d’être épargné et peu concerné par ce phénomène des fake news. Les principaux scandales relèvent en effet souvent de tout ce qui a trait à la sphère grand public : politique, santé publique, éducation, etc.

Pourtant, que ce soit volontairement ou par simple négligence ou approximation, aucun secteur d’activité n’est véritablement épargné par ce phénomène même si cela peut être à des degrés très divers.

On trouve bien sûr des revues scientifiques prédatrices (voir glossaire) peu scrupuleuses de la qualité et véracité des articles qu’elles publient, des articles académiques rétractés lorsque les résultats d’une publication sont invalidés et donc erronés, de faux avis de consommateurs mis en ligne par des concurrents aux pratiques douteuses, des études de marché avec des données peu fiables et non vérifiées, des hackers qui piratent des sites d’entreprises pour y diffuser de faux communiqués de presse, etc.

Les professionnels de l’information n’ont certainement pas attendu 2016 pour s’interroger sur la fiabilité des sources et des informations : sourcing précis, constitution d’un corpus de sources qualifiées, croisement des sources et des données sont des méthodes de base utilisées depuis toujours.

Mais jusqu’à maintenant, on restait principalement sur des méthodes humaines et manuelles pour évaluer l’information et ses sources.

D’autre part, les évolutions du Web et du monde de l’information et le fait d’exercer son métier dans un monde et des entreprises toujours plus globalisés conduisent le professionnel de l’information à élargir encore un peu plus son périmètre de veille et de recherche : utilisation des sources classiques mais aussi surveillance des médias sociaux et nouveaux types de sources et de contenus, veille et recherche d’information à l’international sur des pays ou langues qu’il ne maîtrise pas nécessairement, etc.

Il n’est donc pas toujours simple d’évaluer des contenus et sources sur des sujets ou langues que l’on ne maîtrise pas nécessairement.

Et les biais cognitifs dans tout ça ?

Il ne faut pas oublier que notre rapport à l’information et aux sources n’est jamais complètement neutre. Nous sommes tous influencés par nos biais cognitifs.

« Un biais cognitif est une distorsion dans le traitement cognitif d'une infor­mation. Le terme biais fait référence à une déviation systématique de la pensée logique et rationnelle par rapport à la réalité. Les biais cognitifs conduisent le sujet à accorder des importances différentes à des faits de même nature et peuvent être repérés lorsque des paradoxes ou des erreurs apparaissent dans un raisonnement ou un jugement. Les biais cognitifs peuvent être organisés en quatre catégories : les biais qui découlent de trop d’informations, pas assez de sens, la nécessité d’agir rapidement et les limites de la mémoire. » (Source : Wikipédia).

Dans un contexte de veille et de recherche d’information, cela signifie que nous évaluons tous différemment l’information, les sources ou encore les émetteurs de ces informations.

Du fait de notre éducation et nos expériences, nous pouvons ainsi faire plus confiance aux sources d’information traditionnelles, comme la presse, qu’aux médias sociaux. Nous accorderons peu de crédibilité à tel « expert » sur Twitter car nous avons eu de mauvaises expériences avec lui dans la « vraie vie », etc. Nous serons plus méfiants sur des sujets que nous maîtrisons sur le bout des doigts plutôt que sur des sujets où nous débutons, etc. Notre confiance envers un média pourra se dégrader si nous constatons qu’il recourt toujours plus au publireportage sans que cela soit très explicite, etc.

Dans ce contexte, des machines et algorithmes pourraient-ils être plus objectives et neutres que nous ne le sommes ? A voir... On pensera à cette récente histoire où le logiciel de recrutement d’Amazon a dû être abandonné car il avait tendance à privilégier les CV des hommes plutôt que celui des femmes. Il avait donc lui aussi développé ses propres biais cognitifs !

Au-delà de nos propres biais et ceux des éventuels outils que nous utilisons, il y a également des biais venant des sources et émetteurs eux-mêmes en fonction de leur orientation politique, de leur éducation, des valeurs qu’ils prônent, etc. La ligne éditoriale du Figaro n’est ainsi pas la même que celle de Libération.

La fiabilité dans un contexte de veille : 3 aspects à prendre en compte

Enfin, dans un contexte de veille et de recherche d’information, la détection des fausses informations et de la désinformation nécessite de prendre en compte 3 aspects distincts :

le contenu et l’information elle-même : les données et informations publiées dans un article, un rapport, sur un blog, sur Twitter, Facebook, etc. sont-elles vraies et exactes ?

l’émetteur : l’auteur de l’article, du rapport ou la personne qui a diffusé l’information sur les médias sociaux peut-il être considéré comme une source de confiance ?

la source elle-même est-elle une source de référence et quel est son degré de fiabilité en règle générale ?

Il convient désormais d’aller explorer ce qui existe déjà chez les outils des grands acteurs du Web que nous utilisons, ce qui est proposé par les médias, par les outils de recherche et de veille professionnels en matière d’évaluation des informations, sources et émetteurs ainsi que les nouveaux entrants sur ce secteur. Et parallèlement aux outils, algorithmes, quelles sont aujourd’hui les meilleures méthodes humaines pour y parvenir ?

Glossaire

Avant d’analyser les différentes initiatives en matière de lutte contre les fake news et la désinformation, il convient de définir précisément ce à quoi nous allons nous intéresser.

Car derrière les termes fake news, désinformation, fausses informations se cachent en réalité de multiples définitions et aspects qu’il convient de désambiguïser et préciser.

Dans un rapport de 2017 publié par le Conseil de l’Europe et intitulé « Désordres de l’information : vers un cadre interdisciplinaire pour la recherche et l’élaboration de politiques » , les auteurs proposaient un nouveau cadre conceptuel pour examiner le chaos informationnel et en identifiaient trois formes différentes :

La fausse information ou mésinformation (mis-information en anglais), qui correspond à la diffusion d’une information fausse, sans intention de nuire. 

La désinformation (dis-information en anglais), qui correspond à la diffusion délibérée d’une information fausse dans l’intention de nuire. Les fake news entrent dans cette catégorie.

L’information malveillante (mal-information en anglais), qui correspond à la diffusion d’une information vraie dans l’intention de nuire, généralement en divulguant une information censée rester confidentielle. 

Autres définitions importantes

Voici également quelques autres défi­nitions qui gravitent autour des concepts de désinformation et mésinformation et auxquels nous aurons l’occasion de faire référence à plusieurs reprises dans ce numéro.

Infox : terme français qui désigne les fake news. Le terme infox est un néologisme désignant une information mensongère conçue de manière délibérée pour induire en erreur et être diffusée dans les médias de masse afin de toucher un large public. (Source : toupie.org)

Deep Fakes : technologie qui permet de superposer des images et des vidéos existantes sur d’autres images et vidéos et ainsi faire dire ce que l’on veut à n’importe quelle personne.

Fact-checking : « Le terme anglais fact-checking, littéralement « vérification des faits », désigne un mode de traitement journalistique, consistant à vérifier de manière systématique des affirmations de responsables politiques ou des éléments du débat public. » (Source : CLEMI)

Revues prédatrices : « Sur internet, les revues scientifiques prédatrices, ou douteuses, ou parasites, ou illégitimes, ou peu scrupuleuses (predatory ou deceptive journals), profitent pour la plupart du modèle auteur-payeur de la publication en libre accès (open access). Leur but est mercantile, sans chercher à promouvoir ni pérenniser les résultats de la recherche. » - (Source : Cirad)

OSINT : Le renseignement de sources ouvertes ou renseignement d’origine source ouverte (en anglais : Open Source INTelligence, OSINT) est un renseignement obtenu par une source d’information publique. (Source : Wikipédia)

GEOINT : Le terme GEOINT signifie GEOspatial INTelligence, qui comprend l’exploitation et l’analyse d’images et d’infor­mations géospatiales pour décrire, évaluer et représenter visu­ellement des entités physiques et des activités géographiquement réfé­rencées sur Terre. GEOINT combine plusieurs disciplines telles que la carto­graphie, l’analyse d’images et l’intelligence d’imagerie. (Source : Satcen)

IMINT : Le renseignement d’origine image ou ROIM (en anglais, IMagery INTelligence ou IMINT) est une activité de collecte et d’analyse d’informations visuelles, obtenues par différents moyens techniques, notamment la photographie aérienne et les images satellites. (Source : Wikipédia)