Tirer parti du fact-checking et du journalisme d’investigation pour la veille et la recherche d’information

Carole TISSERAND-BARTHOLE
Netsources no
140
publié en
2019.05
1688
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fact checking | fake news
Tirer parti du fact-checking et du journalisme ... Image 1
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La vérification et l’investigation sont à la base du journalisme. Mais depuis quelques années, on voit apparaître de plus en plus de rubriques, chroniques, outils dédiés au fact-checking développés par des médias et journalistes.

Et au-delà du fact-checking lui-même, on voit également se développer des sites ou comptes sur les médias sociaux créés par des journalistes ou spécialistes de l’investigation qui proposent des listes d’outils gratuits et méthodes pour vérifier la fiabilité d’une information, d’une image ou d’une vidéo.

Dans un monde où la désinformation se réinvente en permanence, prend de nouvelles formes (notamment grâce à l’essor de l’IA, à l’image des deep fakes (voir glossaire) par exemple) pour s’attaquer sans cesse à de nouvelles cibles et sources d’information, il faut sans cesse se former et se tenir à jour pour identifier les meilleurs méthodes et outils, pour évaluer la fiabilité des contenus, des sources et des méthodes.

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Même si on peut avoir le sentiment d’être à l’abri de la désinformation et des fausses informations lorsque l’on réalise des veilles et recherches d’information plus techniques, scientifiques ou corporate, aucun secteur d’activité n’est réellement épargné.

La veille et la recherche d’informations aujourd’hui passent souvent par une multitude de sources et d’outils très différents : serveurs et bases de données classiques, moteurs Web, agrégateurs de presse, médias sociaux, surface Web, deep Web, etc. sans compter que les recherches ne portent plus uniquement sur du contenu textuel mais de plus en plus sur des contenus multimédias.

Certaines sources et outils sont plus touchés par la désinformation que d’autres (notamment les réseaux sociaux) mais personne n’est réellement à l’abri de relayer des infox ou fausses informations que ce soit volontairement ou non.

Ces pratiques de fact-checking et d’investigation, traditionnellement plutôt associées au journalisme qu’à la veille ou la recherche d’information, ne doivent pas être négligées par les professionnels de l’information qui ont tout intérêt à s’en inspirer. Quels sont les outils et sources de référence en la matière ? Et comment en tirer parti et se les approprier dans un contexte de veille et de recherche d’information ?

Fact-checking et investigation version 2019

Le fact-checking et l’investigation sont deux choses différentes. On choisira cette définition proposée sur le site de fact-checking Africacheck qui résume bien cette différence de fond : « Le fact-checking vérifie une information publique, l’enquête expose des faits cachés »

Pour commencer, le fact-checking n’est pas nouveau en soi. On en retrouve des traces dès les années 20 aux Etats-Unis et, à l’époque, cela consistait à vérifier de manière exhaustive et systématique les contenus avant parution. Mais on assiste aujourd’hui à un retour en France et dans le Monde de cette pratique afin de lutter contre la prolifération des fake news mais également pour regagner la confiance des lecteurs et des internautes face aux nombreuses critiques essuyées par la presse.

De même, le journalisme d’investigation bénéficie d’un regain de popularité d’autant que les journalistes ne se contentent plus de publier des articles et reportages d’investigation mais sensibilisent de plus en plus les internautes à la désinformation et proposent des tutoriels, méthodes, listes d’outils afin que les internautes puissent eux-mêmes vérifier et évaluer l’information.

Les solutions de fact-checking et leur intérêt pour la veille

Les solutions et outils de fact-checking sont très nombreux à travers le monde et de nouveaux entrants surgissent régulièrement.

Parmi les outils de fact-checking développés par les médias français, on pourra citer les plus connus :

Les décodeurs du Monde - https://www.lemonde.fr/les-decodeurs (à différencier du Décodex dont nous reparlerons par la suite)

AFP Factuel - https://factuel.afp.com

le Vrai du Faux de France Info - https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-vrai-du-faux

CheckNews de Libération - https://www.liberation.fr/checknews,100893

20 minutes Fake Off - https://www.20minutes.fr/societe/desintox

Et comme il est de plus en plus rare de se limiter au périmètre France dans un contexte de veille et de recherche, il est également important de connaître les principales initiatives à travers le monde. On conseillera le site https://reporterslab.org/fact-checking (voir figure 1.) qui propose une carte des principales initiatives de fact-checking dans le monde (lors de notre visite 188 initiatives actives étaient référencées).

Figure 1. Reporter Lab

Globalement, on constate que si les médias français et étrangers sont à l’origine de nombreuses solutions de fact-checking, c’est-à-dire de vérification des faits et informations, peu ont choisi de s’aventurer sur le chemin semé d’embûches de l’évaluation des sources et des émetteurs.

En France, le seul média à avoir choisi de se lancer sur ce terrain-là est Le Monde avec son Décodex lancé en 2017 (voir figure 2.) : https://www.lemonde.fr/verification.

Figure 2. Le Décodex du Monde

Le principe est simple : l’internaute entre l’url d’un site ou d’une page présente sur les médias sociaux et l’outil indique si la source doit être considérée comme fiable ou non.

Mais depuis son lancement, le site fait l’objet de nombreuses critiques, que ce soit en provenance des sites jugés peu fiables par l’outil mais aussi de la part de journalistes sérieux qui lui reprochent de dénigrer et censurer ses concurrents ou encore de d’évoluer dans un domaine qui ne relève pas du travail des journalistes.

On constatera qu’avec le temps, les évaluations proposées se sont « adoucies ». Ainsi, si les sites peu fiables ou avec des positionnements extrêmes sont toujours pointés du doigt, la majorité des sites de presse ne sont plus étiquetés comme « fiable » et d’une couleur verte et disposent d’une indication plus neutre comme « N’hésitez pas à confirmer l’information en croisant avec d’autres sources ou en remontant à son origine. »

Notre avis sur les outils de fact-checking

Les professionnels de l’information pourront donc recourir aux outils de fact-checking en France et à l’étranger pour vérifier certaines informations mais il faut bien avoir conscience que ces sites se focalisent essentiellement sur des sujets d’actualité, politiques ou de santé publique. Il n’y a pratiquement aucune chance qu’un article sur un dirigeant de PME ou sur le marché du packaging en Chine publié dans une revue professionnelle ait été fact-checké !

On pourra éventuellement utiliser le service de Checknews proposé par Libération où ce sont les internautes qui posent les questions aux journalistes qui vont ensuite se charger de vérifier l’information. Mais le délai de réponse n’est pas nécessairement immédiat !

Enfin, malgré les polémiques, le Décodex permet tout de même de se faire une première idée sur une source que l’on ne connaît pas, notamment sur des sources étrangères (Voir notre article consacré à l’évaluation des sources étrangères dans ce même numéro).

Les nouveaux outils et méthodes d’investigation au service de la veille et la recherche d’information

Comme nous le mentionnions en introduction, les journalistes et experts de l’investigation n’hésitent plus à partager leurs méthodes et outils pour vérifier la véracité et la fiabilité d’un contenu, d’une image ou encore d’une vidéo.

Sur Twitter tout d’abord, on voit fleurir de nombreux tweets qui traitent d’OSINT, IMINT, GEOINT, etc. (voir glossaire) qui sont des techniques de renseignement à base de sources ouvertes qui fonctionnent sur les contenus textuels mais aussi les images, vidéos, etc.

Sur le sujet, on conseillera la lecture ou le visionnage du très riche Webinaire réalisé par Serge Courrier à l’EEIE https://www.eeie.fr/webinar-eeie-01-analyse-dimage-geoint-imint/ qui permet à la fois de se familiariser avec les différents concepts et découvrir de nombreux outils et méthodes : analyser les métadonnées d’une image, recherche d’image inversée, la géolocalisation d’images, tirer parti des images satellitaires, la recherche inversée avec reconnaissance spatiale, détecter les images trafiquées, etc.

Pour découvrir de nouveaux outils et méthodes d’analyse de l’information, des images ou des vidéos, on conseillera de suivre sur Twitter et dans une moindre mesure sur LinkedIn les hashtags #OSINT, #IMINT ou encore #GEOINT.

On pourra également suivre les comptes de la liste OSINT de Serge Courrier qui regroupe la majorité des sources de référence sur le sujet : https://twitter.com/secou/lists/osint/members

En dehors des réseaux sociaux, on conseillera également quelques sites de référence à suivre avec attention.

Le site Inteltechniques qui proposait, depuis 10 ans déjà, un impressionnant annuaire d’outils et forums très riche sur le sujet a malheureusement choisi de retirer ces rubriques de son site suite à des attaques intempestives. C’est un secteur qui change très rapidement avec des sources et outils qui disparaissent régulièrement et de nouveaux entrants qui font également leur apparition pour compenser ces pertes.

On pourra cependant suivre avec attention le site du Global Investigative Journalism Network (gijn.org) (voir figure 3), un réseau de journalisme d’investigation regroupant 177 organisations de 76 pays, et qui propose de nombreux articles méthodologiques, webinaires, des listes d’outils et de sources pour l’investigation, etc.

Figure 3 - Site du GIJN

Conclusion

Si le fact-checking reste d’un intérêt limité pour les professionnels de l’information et mérite d’être utilisé sur des sujets d’actualité et grand public, ce qui relève du journalisme d’investigation mérite en revanche d’être mis sous surveillance dans un contexte de veille métier.

On y analysera les dernières tendances, les nouveaux outils et méthodes proposés qui viendront sans aucun doute enrichir les compétences des pro de l’info et les aider dans leur évaluation et analyse de l’information, des sources et des émetteurs (auteurs ou diffuseurs de contenus).

Si pendant longtemps la veille et la recherche d’information se focalisaient principalement sur l’évaluation des sources et que l’évaluation du contenu reposait essentiellement sur un croisement de différentes sources et données, il est aujourd’hui de plus en plus fréquent de devoir aller vérifier soi-même la véracité d’une information, d’une image ou encore d’une vidéo.