La désinformation et la mésinformation appliquées à la veille et la recherche d’information
Dans quelle mesure la veille et la recherche d’information sont-elles impactées par la désinformation ?
Dans un contexte de veille concurrentielle, stratégique, scientifique ou technique, on peut avoir le sentiment d’être épargné et peu concerné par ce phénomène des fake news. Les principaux scandales relèvent en effet souvent de tout ce qui a trait à la sphère grand public : politique, santé publique, éducation, etc.
Pourtant, que ce soit volontairement ou par simple négligence ou approximation, aucun secteur d’activité n’est véritablement épargné par ce phénomène même si cela peut être à des degrés très divers.
On trouve bien sûr des revues scientifiques prédatrices (voir glossaire) peu scrupuleuses de la qualité et véracité des articles qu’elles publient, des articles académiques rétractés lorsque les résultats d’une publication sont invalidés et donc erronés, de faux avis de consommateurs mis en ligne par des concurrents aux pratiques douteuses, des études de marché avec des données peu fiables et non vérifiées, des hackers qui piratent des sites d’entreprises pour y diffuser de faux communiqués de presse, etc.
Les professionnels de l’information n’ont certainement pas attendu 2016 pour s’interroger sur la fiabilité des sources et des informations : sourcing précis, constitution d’un corpus de sources qualifiées, croisement des sources et des données sont des méthodes de base utilisées depuis toujours.
Mais jusqu’à maintenant, on restait principalement sur des méthodes humaines et manuelles pour évaluer l’information et ses sources.
D’autre part, les évolutions du Web et du monde de l’information et le fait d’exercer son métier dans un monde et des entreprises toujours plus globalisés conduisent le professionnel de l’information à élargir encore un peu plus son périmètre de veille et de recherche : utilisation des sources classiques mais aussi surveillance des médias sociaux et nouveaux types de sources et de contenus, veille et recherche d’information à l’international sur des pays ou langues qu’il ne maîtrise pas nécessairement, etc.
Il n’est donc pas toujours simple d’évaluer des contenus et sources sur des sujets ou langues que l’on ne maîtrise pas nécessairement.
Et les biais cognitifs dans tout ça ?
Il ne faut pas oublier que notre rapport à l’information et aux sources n’est jamais complètement neutre. Nous sommes tous influencés par nos biais cognitifs.
« Un biais cognitif est une distorsion dans le traitement cognitif d'une information. Le terme biais fait référence à une déviation systématique de la pensée logique et rationnelle par rapport à la réalité. Les biais cognitifs conduisent le sujet à accorder des importances différentes à des faits de même nature et peuvent être repérés lorsque des paradoxes ou des erreurs apparaissent dans un raisonnement ou un jugement. Les biais cognitifs peuvent être organisés en quatre catégories : les biais qui découlent de trop d’informations, pas assez de sens, la nécessité d’agir rapidement et les limites de la mémoire. » (Source : Wikipédia).
Dans un contexte de veille et de recherche d’information, cela signifie que nous évaluons tous différemment l’information, les sources ou encore les émetteurs de ces informations.
Du fait de notre éducation et nos expériences, nous pouvons ainsi faire plus confiance aux sources d’information traditionnelles, comme la presse, qu’aux médias sociaux. Nous accorderons peu de crédibilité à tel « expert » sur Twitter car nous avons eu de mauvaises expériences avec lui dans la « vraie vie », etc. Nous serons plus méfiants sur des sujets que nous maîtrisons sur le bout des doigts plutôt que sur des sujets où nous débutons, etc. Notre confiance envers un média pourra se dégrader si nous constatons qu’il recourt toujours plus au publireportage sans que cela soit très explicite, etc.
Dans ce contexte, des machines et algorithmes pourraient-ils être plus objectives et neutres que nous ne le sommes ? A voir... On pensera à cette récente histoire où le logiciel de recrutement d’Amazon a dû être abandonné car il avait tendance à privilégier les CV des hommes plutôt que celui des femmes. Il avait donc lui aussi développé ses propres biais cognitifs !
Au-delà de nos propres biais et ceux des éventuels outils que nous utilisons, il y a également des biais venant des sources et émetteurs eux-mêmes en fonction de leur orientation politique, de leur éducation, des valeurs qu’ils prônent, etc. La ligne éditoriale du Figaro n’est ainsi pas la même que celle de Libération.
La fiabilité dans un contexte de veille : 3 aspects à prendre en compte
Enfin, dans un contexte de veille et de recherche d’information, la détection des fausses informations et de la désinformation nécessite de prendre en compte 3 aspects distincts :
le contenu et l’information elle-même : les données et informations publiées dans un article, un rapport, sur un blog, sur Twitter, Facebook, etc. sont-elles vraies et exactes ?
l’émetteur : l’auteur de l’article, du rapport ou la personne qui a diffusé l’information sur les médias sociaux peut-il être considéré comme une source de confiance ?
la source elle-même est-elle une source de référence et quel est son degré de fiabilité en règle générale ?
Il convient désormais d’aller explorer ce qui existe déjà chez les outils des grands acteurs du Web que nous utilisons, ce qui est proposé par les médias, par les outils de recherche et de veille professionnels en matière d’évaluation des informations, sources et émetteurs ainsi que les nouveaux entrants sur ce secteur. Et parallèlement aux outils, algorithmes, quelles sont aujourd’hui les meilleures méthodes humaines pour y parvenir ?
Glossaire
Avant d’analyser les différentes initiatives en matière de lutte contre les fake news et la désinformation, il convient de définir précisément ce à quoi nous allons nous intéresser.
Car derrière les termes fake news, désinformation, fausses informations se cachent en réalité de multiples définitions et aspects qu’il convient de désambiguïser et préciser.
Dans un rapport de 2017 publié par le Conseil de l’Europe et intitulé « Désordres de l’information : vers un cadre interdisciplinaire pour la recherche et l’élaboration de politiques » , les auteurs proposaient un nouveau cadre conceptuel pour examiner le chaos informationnel et en identifiaient trois formes différentes :
La fausse information ou mésinformation (mis-information en anglais), qui correspond à la diffusion d’une information fausse, sans intention de nuire.
La désinformation (dis-information en anglais), qui correspond à la diffusion délibérée d’une information fausse dans l’intention de nuire. Les fake news entrent dans cette catégorie.
L’information malveillante (mal-information en anglais), qui correspond à la diffusion d’une information vraie dans l’intention de nuire, généralement en divulguant une information censée rester confidentielle.
Autres définitions importantes
Voici également quelques autres définitions qui gravitent autour des concepts de désinformation et mésinformation et auxquels nous aurons l’occasion de faire référence à plusieurs reprises dans ce numéro.
Infox : terme français qui désigne les fake news. Le terme infox est un néologisme désignant une information mensongère conçue de manière délibérée pour induire en erreur et être diffusée dans les médias de masse afin de toucher un large public. (Source : toupie.org)
Deep Fakes : technologie qui permet de superposer des images et des vidéos existantes sur d’autres images et vidéos et ainsi faire dire ce que l’on veut à n’importe quelle personne.
Fact-checking : « Le terme anglais fact-checking, littéralement « vérification des faits », désigne un mode de traitement journalistique, consistant à vérifier de manière systématique des affirmations de responsables politiques ou des éléments du débat public. » (Source : CLEMI)
Revues prédatrices : « Sur internet, les revues scientifiques prédatrices, ou douteuses, ou parasites, ou illégitimes, ou peu scrupuleuses (predatory ou deceptive journals), profitent pour la plupart du modèle auteur-payeur de la publication en libre accès (open access). Leur but est mercantile, sans chercher à promouvoir ni pérenniser les résultats de la recherche. » - (Source : Cirad)
OSINT : Le renseignement de sources ouvertes ou renseignement d’origine source ouverte (en anglais : Open Source INTelligence, OSINT) est un renseignement obtenu par une source d’information publique. (Source : Wikipédia)
GEOINT : Le terme GEOINT signifie GEOspatial INTelligence, qui comprend l’exploitation et l’analyse d’images et d’informations géospatiales pour décrire, évaluer et représenter visuellement des entités physiques et des activités géographiquement référencées sur Terre. GEOINT combine plusieurs disciplines telles que la cartographie, l’analyse d’images et l’intelligence d’imagerie. (Source : Satcen)
IMINT : Le renseignement d’origine image ou ROIM (en anglais, IMagery INTelligence ou IMINT) est une activité de collecte et d’analyse d’informations visuelles, obtenues par différents moyens techniques, notamment la photographie aérienne et les images satellites. (Source : Wikipédia)