Le métier de professionnel de l’information aujourd’hui
« Rechercher l’information stratégique sur le Web » inclut 10 études de cas tout à fait intéressantes. Peut-on encore aujourd’hui rechercher et veiller sur le Web avec des méthodologies clé-en mains ? Ou bien faut-il plutôt fournir pistes et conseils car la recherche Web implique toujours plus de sérendipité, de créativité et d’intuition ?
Le web est devenu tellement complexe et mouvant, et d’autre part les besoins des utilisateurs peuvent être tellement divers, qu’il est difficile de déterminer des méthodologies « clés en mains ».
Ces études de cas correspondent à des besoins stratégiques pour les entreprises et organisations : trouver des données financières sur les concurrents, rassembler des informations sur des personnes, repérer les innovations, identifier des experts, etc.
L’ouvrage présente le déroulement type à mettre en place, c’est à chacun ensuite d’adapter la méthode à ses besoins propres…un peu comme une recette de cuisine !
Les méthodes de recherche d’information sur le Web enseignées il y a encore quelques années sont-elles encore valides ou bien complètement dépassées ?
Cela dépend… La distinction que l’on effectuait il y a quelques années entre les «annuaires», «moteurs» et «méta-moteurs», est aujourd’hui totalement dépassée du fait de la disparition de nombreux outils.
La recherche booléenne reste fondamentale pour interroger des bases de données ou mettre en place des alertes ; en revanche, à l’heure de l’intelligence artificielle, elle est de moins en moins efficace pour effectuer des recherches via Google.
Réfléchir préalablement sur le champ lexical, ou effectuer un sourcing précis, restent toujours des méthodes valides.
Par ailleurs, les réseaux sociaux, et notamment Twitter, ont introduit des méthodes de recherche qui leur sont propres, avec des filtrages très spécifiques, par exemple sur le nombre de retweets d’une publication.
Je dirais qu’il s’agit plutôt d’une évolution en cercles concentriques : autour d’un « noyau dur » de méthodes classiques se sont développées de nouvelles façons de faire, liées à un web de plus en plus mobile, temps réel et multimédia.
Quelle est aujourd’hui la place de l’analyse dans le métier de professionnel de l’info ? Et comment le professionnel peut-il aujourd’hui se différencier en matière de veille ?
Le terme d’analyse est très vaste et peut recouvrir plusieurs sens : il peut s’agir de l’analyse documentaire classique, mais aussi et surtout de l’analyse stratégique, qui elle-même peut se baser sur des matrices classiques, ou mettre en œuvre des solutions automatisées.
De nombreuses approches sont apparues dans ce domaine : datavisualisation, fouille de textes ou de données, analyse du sentiment exprimé dans les réseaux sociaux, et bien d’autres, sont évoquées dans le chapitre 4 de l’ouvrage.
Les compétences des professionnels de l’information aujourd’hui ne peuvent se limiter à la recherche ou la collecte de l’information. L’analyse n’est pas non plus réductible à un simple traitement automatisé d’informations. Un premier niveau d’analyse consiste à vérifier la qualité, la fiabilité et la traçabilité des sources d’information. Les professionnels de la veille doivent également apporter une valeur ajoutée en étant capables d’extraire l’information stratégique ou des signaux faibles, que ce soit via des outils automatisés ou non. L’objectif est souvent de faire émerger des corrélations, des relations ou liens « cachés ».
Dans un univers du Web où tout change et évolue très vite, comment rester à jour au quotidien sur la veille et la recherche d’information sans avoir à attendre la prochaine version de l’ouvrage ? Et quelles sont vos méthodes à vous pour rester à la pointe ?
Il faut effectivement mener une « veille sur la veille » car tout cela évolue très vite ! Cela dit, l’évolution se fait souvent par paliers, et pas toujours de façon linéaire. Et souvent l’innovation ne vient pas de là où on l’attendait ! Il convient, par ailleurs, de distinguer les effets de mode et les engouements parfois éphémères des véritables évolutions durables.
J’essaie de me tenir au courant à travers le suivi de la presse professionnelle, des blogs ou profils twitter de plusieurs personnes « pivots ». Les manifestations, conférences ou salons professionnels sont des sources précieuses, sans oublier les associations professionnelles. Mon réseau personnel, ainsi qu’un peu de « sérendipité » viennent compléter ce dispositif.
Le web d’aujourd’hui
Le paysage du web a considérablement changé ces dernières années avec le développement de l’intelligence artificielle, du machine learning, des big data, la mise en lumière des « fake news » et des « bulles de filtres ». En quoi cela impacte t-il la recherche et la veille dans un contexte professionnel ?
En mars 2019, nous fêterons les 30 ans du web. 30 ans, c’est une génération, et beaucoup de choses se sont passées durant ces années, depuis la création du web par Tim Berners Lee. Mais aujourd’hui, le père fondateur du web se dit très inquiet des dérives constatées autour de son invention : selon lui, « Le web a échoué à servir l’humanité comme il aurait dû le faire».
La campagne #Fortheweb, lancée au début novembre lors du Web Summit de Lisbonne, vise à défendre un Internet « éthique au service de l’humain ». La situation est là aussi assez paradoxale : le numérique apporte transversalité et décloisonnement, mais en même temps les GAFAM exercent une emprise de plus en plus grande sur les contenus et le contrôle des données personnelles. La facilité de publication découlant du web 2.0 a eu comme effet de multiplier les sources d’information de toutes natures… mais l’évolution des moteurs vers la notion de « moteurs de résultats », peut conduire à un phénomène de pensée unique potentiellement dangereux.
La révolution du « web 2.0 » et les réseaux sociaux ont développé de nouvelles sociabilités numériques, mais on peut déplorer également de nombreux symptômes d’enfermement numérique.
Pour les professionnels de l’information, l’évolution du web présente plusieurs pistes à suivre particulièrement.
Google va continuer de déployer son index Mobile First qui privilégie les versions mobiles des sites pour le référencement. Cela devrait rejaillir sur la pratique de la recherche d’information. Le vocal va prendre également beaucoup d’ampleur, à la fois dans la saisie des recherches et la présentation des résultats. Selon le Gartner Group, 30% des recherches seraient vocales vers 2020. Les moteurs de recherche vont de plus en plus être capables d’anticiper nos intentions, de converser avec nous, de « calculer » des résultats pertinents.
Mais les professionnels de l’information ont encore un rôle important à jouer dans trois domaines : le sourcing, car les techniques d’intelligence artificielle ne permettent pas encore à ce jour d’identifier des sources réellement pertinentes concernant un sujet d’ordre stratégique ; le paramétrage en amont, et le filtrage en aval, des solutions de veille automatisée ou d’écoute des médias sociaux ; et enfin, l’analyse, comme nous l’avons vu plus haut, qui peut être automatisée mais nécessite une expertise humaine pour guider les interprétations stratégiques et appuyer les prises de décisions.
Et à l’heure où nous écrivons ces lignes, Google vient d’annoncer le lancement prochain d’ « Activity Cards » (du moins sur mobile) dans ses résultats, c’est-à-dire un encadré au dessus des résultats naturels contenant des liens liés à l’historique de recherche de l’internaute. Est-ce une bonne ou mauvaise nouvelle pour les professionnels de l’information ?
Il est encore un peu tôt pour juger du caractère positif ou négatif de ces nouvelles fonctionnalités pour les professionnels de l’information… Il est certain que la personnalisation toujours plus importante des résultats peut avoir des effets pervers et introduire des biais. Apparemment, cette nouvelle fonctionnalité concernerait plutôt des recherches « grand public », avec un caractère prédictif qui permettrait d’aller au devant des besoins des utilisateurs.
L’intelligence artificielle est une technologie à double tranchant : elle peut constituer une aide précieuse face à la surabondance d’informations et de données, mais faire perdre aux utilisateurs le contrôle de leur recherche et jusqu’à leur libre arbitre.
Lors d’un récent événement organisé à l’occasion de ses 20 ans, Google a annoncé un certain nombre de nouveautés comme les « Activity Cards », les « Collections » ou encore des évolutions pour la recherche d’images. Mais toutes ces innovations semblent destinées à la recherche mobile et non desktop. Le professionnel de l’information doit-il envisager à l’avenir d’effectuer ses recherches Web sur un support mobile ?
Le fossé risque de se creuser de plus en plus entre la recherche mobile et la recherche desktop. La concurrence des réseaux sociaux, et notamment de Facebook, pousse Google à porter l’innovation vers la recherche mobile : c’est là où se trouvent désormais les usages et les enjeux financiers ! Du coup, les sites vont de plus en plus être optimisés pour les usages mobiles…
Ceci étant, les professionnels de l’information devront se partager entre une recherche mobile et une recherche desktop qui restera nécessaire en ce qui concerne des sources stratégiques classiques.
Parmi les sujets-phares de la rentrée 2018, il y a la question du RGPD et de la directive européenne sur le droit d’auteur. En quoi cela va t-il changer l’utilisation du web et impacter le professionnel ?
Les professionnels de l’information peuvent voir dans l’application du RGPD une opportunité de métier autour du rôle de délégué à la protection des données (DPO), notamment dans les organismes publics.
Concernant la directive européenne sur le droit d’auteur, certains éléments restent flous. C’est le cas de l’article 11, qui prévoit une exception au nouveau « droit voisin » des éditeurs de presse, et qui permettrait de citer et partager du contenu lorsque les hyperliens sont accompagnés de « mots individuels ». Il faudra sans doute attendre la transcription de cette directive en droit français pour préciser ces conditions et en évaluer les conséquences en ce qui concerne la veille et la curation de contenus.