Trois experts de l’intelligence économique en entreprise
Trois experts de l’intelligence économique en entreprise ont été invités à participer à cette table ronde : Anne-Marie Libmann, Directrice opérationnelle de FLA Consultants, cabinet de conseil en intelligence économique et scientifique, cabinet de conseil en intelligence économique et scientifique et auparavant directrice des services d’information de groupes industriels, Jean Paul Aussel, consultant indépendant et membre du conseil de Gerson Lehrman Group, une plateforme d’e-learning pour les professionnels, et enfin Jean Marie Caroff, Directeur du développement international au sein du groupe d’ingénierie industrielle Fives Group.
Même si l’intelligence économique et ses pratiques en entreprise ont déjà fait l’objet de nombreuses théorisations dans la littérature française et de débats, c’est ici l’approche opérationnelle et non plus théorique qui a d’emblée été privilégiée et qui a particulièrement retenu notre attention. A travers leurs expériences respectives de l’I.E en entreprise, nos trois intervenants ont exposé leurs analyses du secteur et soulevé des pistes de réflexion actuelles autour de plusieurs problématiques, notamment les dernières évolutions de l’I.E, son organisation, et les opportunités qu’elle crée pour l’entreprise, que celle-ci soit un grand groupe ou une PME/TPE.
Dans un premier temps et pour dépasser certains clichés qui ont encore la vie dure, l’I.E telle qu’on la pratique en entreprise a été redéfinie, c’est-à-dire une démarche experte et opérationnelle destinée à alimenter le circuit décisionnel de l’entreprise et avant tout une offensive légale. Cette pratique de l’I.E induit nécessairement l’utilisation de sources ouvertes (même si beaucoup d’entre elles sont payantes) ainsi qu’une utilisation transparente des réseaux.
Si la connaissance des secteurs industriels et des services demeure inhérente à la pratique de l’intelligence économique en entreprise, cette pratique doit également être savamment organisée et structurée autour de trois grands processus, à savoir la collecte/recherche, l’analyse de l’ensemble des résultats et enfin la diffusion et capitalisation de l’information à toutes les parties prenantes. Chacune de ces phases requiert des compétences très spécifiques, et c’est le bon agencement de celles-ci et des différentes valeurs ajoutées apportées par les experts de ces différents métiers qui en permettent la maîtrise.
Pour les petites entreprises, ces processus doivent être simplifiés pour être efficaces, avec notamment la mise à disposition d’outils de travail adaptés aux personnes n’ayant pas initialement de formation en intelligence économique.
Dans le domaine de l’I.E et concernant en particulier les étapes de la collecte et de la recherche d’information, le rapport aux sources est crucial. Pour trouver l’information stratégique, Il est effet nécessaire de multiplier ses sources accessibles, avec en particulier l’accès à des bases de données professionnelles (presse, financières, etc.) puisque malgré un usage important d’internet, il convient de rappeler que Google est nettement insuffisant. De même, une utilisation efficace et optimisée de l’ensemble des sources nécessite de facto une maîtrise parfaite du contenu de chacune des sources et des langages de requêtes.
Pour garantir l’efficacité du process de collecte et de diffusion de l’information en entreprise, il est également essentiel de ne pas déconnecter l’information interne de l’information externe, comme l’a rappelé Jean-Marie Caroff. Cela implique donc pour l’entreprise d’élaborer une cartographie précise des sources et de mettre en place un système de partage d’informations en interne. La stratégie de Fives à cet égard est intéressante, puisqu’elle avait pour volonté d’introduire une démarche d’I.E sans coûts supplémentaires, mais en capitalisant sur les ressources d’informations internes des différentes PME qui composent le groupe Fives. Un gros travail d’organisation interne et d’acculturation à l’I.E a été ici nécessaire.
La recherche et l’organisation de l’information peuvent apparaitre encore aujourd’hui, comme insuffisamment intégrées au cœur de l’action des entreprises françaises. Par exemple, les États-Unis ont depuis plusieurs années déjà, systématisé la recherche d’information sur les concurrents, entre autres via une démarche judicaire et arbitrale. D’après Jean-Paul Aussel, l’I.E en France a encore tendance à oublier et sous-estimer le rôle-clé des avocats pour trouver l’information.
Le dernier point évoqué par nos intervenants lors de cette table ronde concerne les langues et leur utilisation par les praticiens de l’intelligence économique. Un aspect qui avait particulièrement de valeur dans une institution telle que l’Inalco. L’information stratégique n’est pas toujours en anglais et l’information locale, sous-entendu en langue locale, reste encore essentielle pour comprendre le terrain. Cette appréciation des langues dans le domaine de l’I.E reste encore à ce jour indiscutable et le cabinet FLA Consultants a partagé de quelle manière il en faisait tous les jours l’expérience dans ses missions et pratiques de « veille mondialisée ».
Enfin et sur ce même sujet, il est aujourd’hui difficile de ne pas aborder les dernières évolutions techniques dans le domaine de la traduction, qui peuvent par ailleurs amener à repenser la compétence des langues dans les process d’intelligence économique en entreprise. Sur ce sujet, Anne-Marie Libmann a notamment évoqué les avancées impressionnantes dans le domaine, liées au développement de la technologie neuronale, et la création d’outils de traduction de plus en plus élaborés et efficaces. Bien qu’ils soient encore loin d’égaler la compétence humaine en la matière, il semble néanmoins actuellement important pour les praticiens de l’I.E d’en connaitre les évolutions et de les intégrer dans les processus d’intelligence économique en entreprise.