Les ONG : quel intérêt pour la veille ?
Premier point faisant des ONG une source d’information intéressante pour le veilleur : elles réalisent très souvent elles-mêmes des activités de veille, informant des principaux développements dans les domaines qu’elles couvrent.
Cette veille peut être diffusée et donc consultée par le veilleur de plusieurs manières, les plus importantes étant les réseaux sociaux et les newsletters.
La newsletter est en particulier très prisée mais, comme toujours en matière d’ONG, il n’y a pas de règle unique : Greenpeace propose ainsi de s’abonner à des « call to action » pour chaque pays dans lequel l’association est implantée afin de se tenir au courant des actions entreprises par l’organisation. De nombreuses organisations se contentent de mentionner leurs propres newsletters, tandis que d’autres vont plus loin et traitent de l’actualité globale dans les domaines qu’elles couvrent.
Mais les ONG ne se contentent pas de réaliser des activités de veille : souvent, elles collectent et analysent des données, ce qui peut être alors représenter une source d’information difficile à trouver ailleurs.
La branche russe de Greenpeace avait par exemple affirmé, en s’appuyant sur une analyse d’imagerie satellite russe, que la superficie des zones touchées par des feux de forêts en Sibérie était deux à trois fois supérieure aux affirmations ces mêmes autorités locales. Toute considération politique mise à part, la question de l’évaluation de la fiabilité de l’information fournie ou interprétée par les ONG est une question difficile sur laquelle nous reviendrons.
La question du lobbying est aussi importante pour plusieurs ONG : en Europe, aux Etats-Unis et dans d’autres pays de la planète, des organisations ont mises en place des bases de données permettant de surveiller l’activité d’entreprises ou de groupes lobbyistes spécialisés (EU Integrity Watch en Europe, OpenSecrets.org aux Etats-Unis).
Les ONG peuvent ainsi parfois proposer des données rentrant en contradiction avec les déclarations officielles, notamment dans certaines régions difficiles d’accès. Rares sont néanmoins les ONG disposant de moyens d’offrir des statistiques aussi complètes que celles proposées par les gouvernements : les données proposées par les ONG seront la plupart du temps centrées sur des zones et les sujets spécifiques.
Veille, collecte et analyse de données, voici donc les principaux points forts des ONG pour la recherche d’information et la veille.
Ces organisations disposent d’ailleurs très souvent d’implantations concrètes sur le terrain, ainsi que de réseaux d’activistes et de sympathisants capables de faire remonter des informations difficilement identifiables ailleurs.
De fait, les réseaux sociaux font des ONG un autre atout pour le veilleur qui peut identifier, sur Twitter et Facebook notamment, des personnes liées à ces ONG, actives sur le terrain et donc potentiellement porteuses d’informations intéressantes.
Dernier élément à prendre en compte : les ONG formulent des recommandations et autres plans d’action qui, en fonction de leur influence, peuvent parfois jouer un rôle important dans le développement d’une politique publique. En ce sens, les rapports et études qu’elles publient représentent une source d’information car elles peuvent, dans certains cas, prédire ou encourager des évolutions législatives que le veilleur cherchera bien entendu à anticiper.
Dans ce domaine, il peut donc être important d’évaluer l’influence potentielle de l’organisation, que ce soit sur la base de sa taille, de son implantation mondiale, de sa présence dans les médias ou encore, tout simplement, de son activité de lobbying ouvertement affichée : parmi les dix organisations réalisant le plus de lobbying au niveau de la commission européenne, on trouve ainsi Airbus ou Google, mais aussi Greenpeace et WWF.
Ces informations en matière de lobbying peuvent se trouver sur le site EU Integrity Watch, un projet de l’ONG Transparency International qui traite notamment de la lutte contre la corruption. Le projet est destiné à la surveillance des actions de lobbying au niveau de l’Union Européenne, et l’ONG offre ainsi au public une base de données actualisée en temps réel, des réunions tenues par des lobbyistes à Bruxelles, en donnant le nom des personnes impliquées et les sociétés qu’elles représentent, une ressource qui peut s’avérer extrêmement utile pour surveiller non seulement les activités d’entreprises, mais aussi des ONG elles-mêmes.
Dans des domaines plus spécifiques néanmoins, les organisations influentes seront de taille moins importantes, et donc moins visibles : au-delà de leurs actions de lobbying déclarées, on pourra aussi s’intéresser à leur participation à des colloques, séminaires ou autres évènements, aussi qu’aux « appels » médiatiques que ces organisations peuvent régulièrement lancer.
Comment identifier des ONG ?
Quelle stratégie de recherche ?
Recourir aux publications d’ONG comme source d’information n’est néanmoins pas sans problème et sans risque.
La première problématique concerne l’identification des ONG. Extrêmement nombreuses et dépourvues de définition claire, celles-ci représentent au niveau mondial un écheveau d’entités à la taille, à l’influence et à la crédibilité extrêmement variables. Beaucoup d’entre elles ne s’identifient pas comme ONG mais comme club, association, ou fondation. Les identifier n’est donc pas une tâche aussi simple qu’il n’y paraît.
Fort heureusement, il existe de nombreuses bases de données permettant de se faciliter le travail.
Dans le cadre d’une recherche préliminaire, il est ainsi souvent plus efficace de localiser d’abord ces bases de données.
Pour retrouver des ONG spécialisée sur la santé au Brésil par exemple, on pourra entrer une requête du type (health OR vaccin OR medicine) AND NGO AND (database OR list OR index OR directory OR registry) AND Brazil
.
Nom |
URL |
Région |
Worldwide NGO Directory |
Monde |
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Plateformes Nationales d’ONG |
Monde |
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UN Economic and Social Council (PDF) |
Monde |
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UN Office on Drugs and Crime |
Monde |
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China Development Brief |
Chine |
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USAID - PVO Registry |
USA & Monde |
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Répertoire National des Associations |
France |
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Australian accredited NGOs |
Australie |
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LANIC |
Amérique latine & du Sud |
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Africa NGO Directory |
Afrique |
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World Health Organization |
Monde |
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International Labor Organization |
Monde |
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NGO Aid Map |
Monde |
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The Asia Foundation (PDF) |
Asie |
Figure 1. principales bases de données listant des ONG
Les grandes ressources
En France, la base de données la plus complète est celle du Répertoire National des Associations. Comme mentionné plus haut, la grande majorité des ONG françaises sont en fait des associations, qui seront donc présentes dans cette base de données.
Autre ressource importante, le Worldwide NGO Directory, accessible sur le site de l’organisation mondiale des ONG (http://www.wango.org). Sans être complète (une tâche impossible, au regard du flou qui entoure la définition), cette base de données est l’une des plus importantes, comprenant plus de 23 000 organisations en Amérique du Nord, 3 700 en Europe de l’Ouest et plus de 200 en Afrique du Nord.
L’ONU ne dispose malheureusement pas de base de données exhaustive, des très nombreuses ONG travaillant avec elle.
On notera tout de même les plus de 3 000 ONG listées dans la base de données du United Nations Office on Drugs and Crime, accessible à cette adresse : https://www.unodc.org. Le comité de l’ONU pour les affaires économiques et sociales dispose aussi d’une telle liste, sous la forme d’un simple fichier PDF de 142 pages, bien peu pratique
Nous avons listé les principales bases de données regroupant des listes d’ONG dans la figure 1.
Il est souvent plus difficile d’identifier des ONG dans les régions en développement, où les bases de données sont souvent moins complètes ou inexistantes. Il existe néanmoins des solutions : les ambassades proposent par exemple régulièrement des listes d’ONG nationales agissant dans les pays qu’elles couvrent. Les ambassades françaises sont notamment bien pourvues en la matière, disposant souvent (mais pas systématiquement) d’une page dédiée aux actions des ONG françaises dans leur pays : celles-ci peuvent être facilement retrouvées avec une recherche du type site:ambafrance.org AND ONG
» suivi du nom du pays.
La question essentielle de la fiabilité
Conséquence de l’absence de définition juridique claire des ONG, il n’existe que peu de garanties quant à la fiabilité de celles-ci comme des informations et données qu’elles publient.
La frontière entre une ONG œuvrant pour le bien public et une organisation engagée dans des opérations de lobbying étant floue, il est important de prendre quelques précautions lorsque l’on envisage d’inclure une ONG dans une veille.
Certaines sont habituelles : évaluer rapidement le site de l’organisation, sa présence physique, une éventuelle liste de ses membres ou dirigeants sur internet, afin de s’assurer que l’organisation est non seulement réelle, mais aussi active : lister les réseaux sociaux sur lesquels l’organisation est présente est à ce titre très important. Une simple recherche du nom de l’organisation dans Google Actualités ou tout service similaire permettra aussi de savoir si celle-ci est citée dans les médias et si oui, dans quel contexte.
Une rapide recherche combinant le nom de l’ONG avec des mots-clés tels que « scandale », « corruption », « justice », « condamné », « mis en examen », « accusé » et leurs équivalents dans les langues concernées permettra de s’assurer que l’organisation ou ses membres n’ont pas été impliqués dans des affaires judiciaires.
Autre question liée à celle de l’indépendance des ONG : celle de la source de leur financement. Certaines ONG, qualifiées de « GONGO » (government-organized non-governmental organization), sont en effet financées en totalité par des gouvernements, un fait qu’il est important et utile de prendre en compte lors de la mise en place d’une veille pour évaluer la fiabilité de l’information diffusée par l’organisme.
Plus généralement, gouvernements et individus financent de nombreuses ONG de manière partielle. Il est néanmoins particulièrement complexe, et dans de nombreux cas simplement impossible, de vérifier les sources de financement d’une organisation non gouvernementale. Certaines donnent sur leur site une liste de leurs principaux donateurs, en soi un gage de fiabilité.
Quand recourir aux informations des ONG ?
Quels types de veilles bénéficieront le plus des ressources d’informations proposées par les ONG ?
De manière générale, et comme mentionné plus haut, les données et informations publiées par les ONG sont d’un intérêt particulier dans des régions en développement où la fiabilité ou même l’existence de ces données ne va pas de soi.
Les ONG ayant comme objectif général l’amélioration de la vie des populations, toutes les veilles s’intéressant aux problématiques d’infrastructures, de transport, d’environnement ou de questions sanitaires et de santé publique pourront bénéficier de l’ajout d’informations provenant d’ONG. Les problématiques liées aux énergies renouvelables sont en particulier très suivies par les ONG.
Dans les pays en développement, les veilles ayant trait au risque politique seront aussi largement enrichies par les informations diffusées par les ONG sur place ; dans certaines zones de conflits, une poignée d’ONG sont même parmi les uniques sources d’information indépendantes, que ce soit par le recours à des agents sur le terrain ou aux nouvelles technologies. Amnesty International a par exemple développé ces dernières années l’utilisation de l’analyse d’images satellites afin d’analyser le développement de conflits et d’exactions.
Mais les ONG ne sont bien sûr pas seulement importantes pour enrichir des veilles à l’international ou dans les pays en développement. En France ou en Europe, leur surveillance peut aussi être particulièrement pertinente dans le cadre d’une veille stratégique ou d’e-reputation, notamment lorsque celle-ci concerne des secteurs, entreprises ou projets à risque. Par exemple, une veille sur un projet de construction d’autoroute dans un pays d’Europe peut bénéficier de l’identification et de la surveillance des ONG environnementales et anti-corruption actives dans la région.
Dans la due diligence et la recherche de preuve de compliance, non abordées dans cet article, les informations d’ONG sur les entreprises ou les personnalités peuvent extrêmement précieuses.
Cas pratique
Imaginons par exemple qu’une entreprise française souhaite réaliser une veille sur les grands projets énergétiques en Union Européenne, qu’il s’agisse d’énergies renouvelables ou traditionnelles.
Première étape : l’identification des ONG pertinentes. Quelques grands noms d’ONG environnementales viennent immédiatement à l’esprit (Greenpeace, WWF, Rainforest Alliance), mais le recours aux bases de données permet d’en identifier de nombreuses autres couvrant l’Europe. Pour aller plus loin, il est aussi possible (et même recommandé) de lister les grands projets énergétiques rentrant dans le cadre de la veille, puis d’identifier des ONG, qui peuvent parfois être uniquement locales, opérant dans la zone de ces projets.
On pensera dans ce cas à répéter une recherche du type « (Nom du projet) AND (ONG OR activiste OR contestation OR mouvement)
» dans toutes les langues appropriées.
Ainsi, le projet de centrale nucléaire Paks II, en Hongrie, a suscité une importante polémique dans la région. De fait, de nombreuses ONG locales et internationales s’intéressent à la question et peuvent se révéler d’importantes sources d’information : l’ONG britannique Nuclear Transparency Watch a ainsi fait fuiter en 2015 des extraits de l’étude de faisabilité de la centrale, tandis que Energiaklub, une ONG hongroise, publie régulièrement des analyses et articles sur l’évolution du projet. Bien entendu, dans cet exemple, les organisations sont ouvertement opposées à la centrale, une position qui implique de prendre leurs informations avec recul.
Le recours aux bases de données mentionnées plus haut ainsi que des requêtes simples sur Google sont des méthodes efficaces permettant d’identifier ces ONG. Une autre solution est d’avoir recours à Google Actualités ou à des agrégateurs de presse, pour y entrer une requête généraliste, ou centrée sur un projet spécifique. En combinant des mots-clés ayant trait aux questions énergétiques (« charbon » ; « centrale » ; « éoliennes », « pipeline », « gazoduc »…) ou à des projets spécifiques (« Paks II ») avec des expressions telles que « d’après une ONG », « affirme/déclare/rapporte l’ONG », il est possible d’identifier des noms d’ONG actives, car mentionnées dans les médias.
Notons au passage que les médias auront tendance à varier leur vocabulaire concernant les ONG : « groupe d’activistes », « organisation de protection » ou encore « mouvement » sont autant d’expressions employées. De même, en raison de la définition floue des ONG, celles-ci peuvent parfois être des associations, des clubs, des unions, conseils…
Une fois les ONG identifiées, il est possible de lister les ressources informationnelles dont elles disposent. On trouvera à la fois des données « uniques », (rapports et analyses précédemment mentionnées), mais aussi des informations en continu : l’ONG Energiaklub dispose ainsi d’une newsletter résumant leurs actions et les dernières actualités concernant le projet de centrale Paks II. Et si l’organisation ne publie de nouveaux articles que quelques fois par mois, leur page Facebook est mise à jour presque quotidiennement, ce qui en fait une source d’information extrêmement intéressante sur les questions énergétiques en Hongrie.
On observe d’ailleurs très souvent au sujet des ONG que le site principal reste très statique alors que la majorité de l’activité est communiquée sur les réseaux sociaux. Facebook reste dans ce cas le réseau le plus important ; Twitter est aussi intéressant, notamment pour suivre les dirigeants ou activistes de ces ONG, mais LinkedIn peut aussi représenter une source pertinente : on y trouve non seulement des informations sur les activités des ONG, mais aussi un précieux volet Entreprises similaires qui peut s’avérer très pratique lorsque l’on recherche d’autres organisations du même type.
Enfin, sur des sujets comme les projets énergétiques, qui impliquent des entreprises très importantes et actives, la problématique du lobbying est aussi centrale, notamment sous l’angle des ONG : d’un côté, certaines de ces ONG vont s’appliquer à influencer des pouvoirs locaux ou nationaux pour encourager ou stopper certains projets, tandis que, de l’autre côté, des ONG vont dénoncer des actions de lobbying de grandes sociétés qui tentent elle aussi de pousser ou de décourager certains projets. Pour une veille sur les projets énergétiques européens, EU Integrity Watch, mentionnée plus tôt, est un outil particulièrement précieux qui permet de suivre les actions de lobbying de grandes entreprises ainsi que d’ONG au niveau européen.
Conclusion
De par leur nombre, leur expertise et leur influence potentielle, les ONG sont des sources majeures d’information qu’il convient d’intégrer dans une veille dès que cela est possible : dans des domaines aussi larges que le risque pays, l’e-réputation ou la surveillance de projets, les ONG peuvent apporter des informations parfois difficiles à trouver ailleurs. Il est néanmoins important de garder en tête que ces organisations sont, comme les lobbies, dédiées à la défense d’une cause, ce qui implique un biais immédiat. Une différence avec d’autres types d’organisations est néanmoins que le biais d’une ONG est très souvent ouvertement affiché et même revendiqué : personne n’ira s’étonner que le Peoples’ Movement Against Nuclear Energy (une ONG indienne) soit opposé au nucléaire…
Dans le cadre d’une veille, cette subjectivité revendiquée implique en amont de vérifier la fiabilité de l’information mais aussi, en aval, d’en spécifier l’origine et le biais potentiel : vérifier la réputation de l’organisation en question, tenter de croiser les données présentées avec d’autres, s’assurer que l’information provient bien de l’organisation en question (et si non, remonter à son origine). Une information peut être d’une fiabilité limitée, mais potentiellement importante : elle peut alors être incluse tant que le destinataire de la veille est bien conscient de cette fiabilité limitée (qui peut résulter du biais d’une ONG, mais aussi d’un manque de corroboration, ou simplement du fait que l’ONG ayant produit l’information est peu connue).
Reprenons l’exemple cité au début de cet article concernant des chiffres de surfaces de forêts incendiées en Russie, qui différaient de manière importante entre les autorités russes et Greenpeace : dans une veille consacrée à la situation environnementale russe, la question de la véracité de ces chiffres serait cruciale.
Mais le veilleur ne peut « décider » qui a raison : a priori, les chiffres des autorités russes sont fiables, mais Greenpeace est une organisation réputée. Quant au veilleur, il ne dispose lui sans doute pas de l’expertise, aussi bien linguistique qu’en matière d’analyse de statistiques ou de données satellitaires, pour se faire une opinion objective de la question.
Fort heureusement, le veilleur n’a pas à décider si l’information est vraie ou non, mais si elle est à la fois suffisamment fiable et suffisamment pertinente. Dans cet exemple, c’est le cas : si l’information provenait d’une organisation douteuse et peu connue, et ne donnait pas de sources, elle pourrait sans doute être écartée. Le fait qu’il s’agisse d’une ONG aussi connue que Greenpeace et que l’information soit basée sur des photos satellites présentées sur leur site de manière claire rend son inclusion légitime, à partir du moment où la contradiction avec les données officielles est clairement exprimée. Pour le destinataire de la veille, qui sera sans doute plus à même de démêler le vrai du faux, l’existence de cette contradiction peut déjà représenter une information importante : le biais des ONG peut donc, paradoxalement, représenter un atout pour le veilleur.