La publicité à moitié cachée : publi-rédactionnel et influenceurs
Nous commencerons ici par la publicité qui dit à moitié son nom : elle s’insère parmi des contenus informatifs qui se veulent objectifs ou personnels, se présente comme de la publicité mais de manière tellement discrète qu’il faut réellement une lecture attentive pour s’en rendre compte.
Dans cette catégorie, nous évoquerons tout d’abord le publi-reportage ou contenu publi-rédactionnel.
« Un publi-reportage est une publicité rédactionnelle qui se présente comme un contenu éditorial. Il est donc très intégré dans le contenu global du media et le lecteur peut parfois l’appréhender par erreur comme un contenu classique. Ce format publicitaire peut être vu comme l’ancêtre de la publicité native. » Source : https://www.definitions-marketing.com/definition/publi-reportage/.
Dans un thread récent sur Twitter, Serge Courrier rappelait que « Dans la «vieille» presse papier des années 70 (et même après, soyons honnête) les lecteurs (du Monde par exemple) ont obtenu que les publi-rédacs ne soient jamais composés avec la même typo que les articles et que la mention «publi-rédactionnel» apparaisse *en haut* ».
Il semblerait donc qu’on assiste à un retour en arrière avec des contenus publi-rédactionnels difficiles à différencier des autres contenus même si cela est mentionné discrètement.
On pourra prendre cet exemple du Blog du Modérateur, source pourtant réputée sérieuse, dont l’un des articles récents s’intitule « Jamespot : le réseau social d’entreprise enfin efficace et complet » et où il faut attendre la toute fin de l’article (qui de plus, est très long) pour découvrir que « cet article a été réalisé en partenariat avec Jamespot ». (voir figure 1.)
Figure 1. Publi-reportage sur le Blog du Modérateur rédigé par Jamespot
Ces contenus publi-rédactionnels peuvent se retrouver dans n’importe quel type de presse, sites d’actualités et même blogs d’information. Et bien souvent, l’indication qu’il s’agit d’un publi-reportage se retrouve à la toute fin de l’article, en petits caractères.
Notre avis
Il est très facile de ne pas pouvoir identifier des publi-reportages, ce qui est problématique dans un contexte de veille et de recherche, où il faut parfois passer en revue un gros volume d’information et où l’on n’a d’autre solution que de se baser essentiellement sur les titres des articles et premières lignes pour déterminer si l’information est pertinente ou non.
Nous avons fait le test sur Press’Edd, l’agrégateur de presse couvrant le mieux la presse française avec des termes comme « publi-reportage », « publi-rédactionnel ». Et si dans certains cas, la mention du publi-reportage est présente dès le titre ou le chapô, dans un grand nombre de cas, il faut en réalité lire l’article dans son intégralité pour découvrir la mention dans les toutes dernières lignes. Méfiance donc, car même en utilisant des outils professionnels comme les agrégateurs de presse, on risque d’avoir quelques articles qui sont en réalité des publicités déguisées et qui ne sont pas simples à détecter au premier coup d’œil.
Un autre cas est celui des influenceurs sur les médias sociaux. Les marques investissent beaucoup d’argent pour faire passer leurs messages ou faire des placements de produits via des influenceurs (célébrités, micro-influenceur, etc.).
Pendant longtemps, il n’y avait aucune différence entre un post « normal » et un post sponsorisé sur le fil d’une même personne. Ce n’est que très récemment que les réseaux sociaux ont commencé à se préoccuper de cette question et à proposer un étiquetage adéquat.
Instagram a ainsi annoncé il y a quelques jours qu’il lançait une mention « paid partnership with » suivi du nom de la marque en haut du post. Car forcément, lorsque l’on est payé pour parler d’un produit, on a tendance à être moins objectif ou même à s’autocensurer...
Cette pratique porte même un nom : le marketing d’influence.
Seul problème, cette mention est purement indicative et les influenceurs et les marques n’ont nulle obligation de l’indiquer. Et on bascule donc très vite dans de la publicité qui ne dit pas son nom...
Les fabricants d’armes aux Etats-Unis et au Canada, qui ont interdiction de faire de la publicité, ont ainsi trouvé un moyen détourné de promouvoir leurs armes en passant par des influenceuses pro-armes qui postent des photos « sexy » mais avec des armes à la main.
Et dans un tout autre domaine, Acast, la plateforme d’agrégation de podcasts qui vient de débarquer en France a récemment indiqué « Nous poussons également le sponsoring (l’endorsement) où le podcasteur s’engage pour la marque et apporte sa caution. ». Là encore, le podcasteur se transforme en influenceur pour promouvoir une marque.
La « publicité masquée »
Il y a ensuite toute la publicité qui ne dit pas son nom : on pensera ici au SEO et à l’Inbound Marketing. Et il y a là du bon comme du mauvais.
SEO ou le besoin d’esprit critique
Le « SEO est l’acronyme de Search Engine Optimization et peut être défini comme l’art de positionner un site, une page web ou une application dans les premiers résultats naturels des moteurs de recherche. En français, le SEO est désigné par le terme de référencement naturel. » - (Source : https://www.definitions-marketing.com/definition/seo)
Rappelons que les résultats naturels se différencient des résultats sponsorisés dans les moteurs ou sur les médias sociaux avec un étiquetage différent même s’il est parfois discret.
Le référencement naturel (SEO) implique la création de contenus à forte valeur ajoutée. Il est aujourd’hui impossible d’être bien référencé avec des contenus qui ne font que mettre bout à bout des mots-clés comme cela a pu être le cas à une époque. Mais même si le contenu proposé se veut neutre et objectif, le but est tout de même bien d’être visible sur le Web et de promouvoir le site ou l’entreprise.
Or être bien positionné sur les moteurs demande du temps et souvent de l’argent en investissant dans des outils dédiés aux SEO ou en faisant appel à des spécialistes et consultants.
De fait, les sites et pages les mieux référencés sur une requête donnée proposent du contenu qui répond bien et qui est optimisé pour la requête mais ce sont aussi généralement les sites qui ont le plus investi dans le référencement naturel.
Des sites et pages pourtant très intéressants émanant d’experts par exemple, ne sont pas nécessairement optimisés pour les moteurs de recherche et encore moins pour la recherche sur mobile (synonyme de rapidité de chargement de la page) qui est devenue la norme sur Google avec son index « Mobile First » (voir NETSOURCES n°137). Ils peuvent se retrouver relégués très loin dans les pages de résultats voire même disparaître de la liste car Google limite de plus en plus le nombre de résultats visibles (rarement plus de 200 par requête).
Notre Avis
Il est donc important d’avoir conscience de ce biais. Ne pas se limiter à la première page de résultats est donc toujours aussi essentiel. Changer ses paramètres dans Google pour afficher 100 résultats par page reste un bon moyen de ne pas se limiter aux dix premiers résultats affichés par défaut.
D’autre part, interroger plusieurs moteurs notamment Bing, Yandex, DuckDuckGo, Qwant, ou des moteurs spécialisés, permet d’obtenir des résultats différents et donc d’avoir une autre image et vision de l’information sur un sujet. On aura bien sûr intérêt à ne pas se limiter aux moteurs et Web ouverts et à interroger des outils professionnels comme les agrégateurs de presse, bases de données, etc.
L’inbound marketing ou le besoin de croiser ses sources
« L’inbound marketing repose sur une stratégie de création de contenu qui permet d’attirer des visiteurs sur votre site web et votre blog, afin de les convertir en leads puis de les conclure en clients, par le biais de différentes techniques telles que le marketing automation, le lead nurturing, l’engagement sur les réseaux sociaux ou encore le blogging.
L’inbound marketing est apparu en réponse à la baisse d’efficacité du marketing traditionnel (ou outbound marketing). L’outbound marketing repose sur l’utilisation de publicités, considérées par de nombreux internautes comme trop intrusives. » - (Source : Hubspot.fr)
Cette définition est d’ailleurs un cas d’école car elle est fournie par une entreprise spécialisée sur des solutions d’inbound marketing. Ainsi quand on recherche une définition sur ce terme, celle d’Hubspot arrive dans les premiers résultats. Et par là-même, la société nous conduit sur son site et nous fait découvrir ses propres services....
On constate effectivement que de nombreuses entreprises se sont remises à proposer des blogs ou des newsletters. Bien souvent, le contenu de ces blogs et newsletters ne ressemble en rien à des publicités classiques. On y trouve des articles informatifs, des astuces, conseils, listes d’outils, études, etc. qui peuvent avoir une grande valeur et permettent au lecteur de s’informer et d’apprendre quelque chose. Cependant, il faut toujours garder en tête ces questions : qui est l’émetteur de l’information et qui est la source ?
Ces mêmes entreprises investissent également les plateformes de blogging comme Medium, LinkedIn, Pulse qui ont un public très business ou les plateformes collaboratives et participatives de questions/réponses comme Quora par exemple. Et derrière l’apparence d’un article ou d’une réponse rédigée par un expert, l’idée est quand même bien de promouvoir une marque, des produits ou des services.
Même pour des blogs d’experts (qui ont bien souvent une double casquette consultants ou formateur), il s’agit aussi d’un moyen d’être visible, de gagner en notoriété ou de faire connaître ses services et produits.
Quelle est la proportion de gens qui produisent des contenus de manière désintéressée et pour le simple bien de la communauté en dehors de Wikipédia ? On peut se poser la question... Bien souvent, la production de contenu sur le Web permet de se vendre soi, de vendre son entreprise ou son produit.
Que ce soit dans les résultats de moteurs ou sur les médias sociaux, une part importante des contenus qui apparaissent relèvent de l’inbound marketing et il faut en avoir conscience.
Pour autant, tout n’est pas à jeter, loin s’en faut.
La qualité des contenus et l’ampleur de l’aspect publicitaire dans ces contenus peut s’avérer très variable.
D’un côté, on peut trouver des articles et billets avec des informations et analyses très intéressantes et documentées que l’on ne retrouve nulle part ailleurs sur le Web ouvert et peu d’autopromotion si ce n’est qu’il faut se rendre sur le site Web pour le visualiser dans son intégralité. De l’autre, il existe des pratiques discutables, où le contenu d’apparence informatif est très biaisé et orienté pour faire croire à l’internaute que les produits et services développés par cette même société sont les seuls capables de répondre à leur problématique.
On pensera par exemple aux articles de blogs du type « 10 outils pour... », « les meilleurs outils pour... » qui listent parfois des outils qui n’ont rien de comparables entre eux et qui ne servent que de faire-valoir au produit d’une entreprise en particulier.
Notre avis
L’inbound marketing est finalement une forme de SEO qui consiste à produire des contenus informatifs qui auront des chances d’être bien référencés par les moteurs.
Ces contenus sont cependant de qualité très variable et il convient donc de faire preuve d’esprit critique en analysant bien qui est l’émetteur du contenu et de quelle source il s’agit (entreprise, site institutionnel, cabinet de consultants, consultant indépendant, etc.) puis en analysant le contenu lui-même pour vérifier la fiabilité et la qualité des informations.
D’autre part, cela confirme la nécessité toujours bien présente de croiser ses sources. Ce n’est pas parce qu’un site recommande dix outils qu’il le faut le croire sur parole. Ce n’est qu’en consultant différentes sources de différentes natures et tant qu’à faire sur le même sujet, qu’on arrivera à se faire une idée précise des outils les plus fréquemment cités et de l’état actuel du marché.
Il est également intéressant de rechercher la source plutôt que l’information en réfléchissant en amont aux types de sources susceptibles de détenir des informations de qualité sur le sujet, de les identifier puis de rechercher uniquement au sein de ces sites.
Et finalement, on retrouve ici une problématique similaire à ce que nous avions évoqué dans le précédent numéro de NETSOURCES sur la désinformation. (Voir NETSOURCES n°140).
Dans le contexte actuel où certains diffusent sciemment de fausses informations, d’autres par ignorance et enfin où d’autres cherchent à jouer toujours plus sur la porosité entre publicité et information, il faut donc faire preuve d’une vigilance accrue lorsque l’on réalise des veilles et recherches d’information.
Cas pratique : identifier une liste d’outils de veille
Prenons maintenant un exemple concret. Imaginons que nous sommes novices en matière de veille et que nous souhaitons savoir quelles sont les plateformes de veille et de social media monitoring sur le marché.
Quelques recherches montrent d’ailleurs que si certains des acteurs de la veille investissent dans les AdWords, peu explorent les autres canaux de publicité classiques (presse, TV et radio) ou les canaux de publicités en ligne (Facebook, LinkedIn, display, etc.).
Beaucoup en revanche semblent avoir investi le champ de l’inbound marketing en proposant des contenus sur leurs sites, des blogs, newsletters, des publications sur les médias sociaux ou en publiant sur des plateformes de blogging ou plateformes collaboratives.
Pour la requête outils de veille
sur Google par exemple, le premier résultat est celui d’un des acteurs du secteur Meltwater, avec un billet de blog intitulé « 6 outils de veille pour rester en avance sur votre marché ». Et dans les dix premiers résultats, on trouve également plusieurs résultats issus de plateformes et blogs spécialisés dans l’inbound marketing, des blogs d’agences de communication ou cabinets de consultants, deux autres outils de veille (Talkwalker et Mention), et un seul site d’information en tant que tel sur les outils de veille (outilsveille.com).
Sur d’autres requêtes comme meilleurs outils de veille, liste outils de veille, outils social media monitoring
, on arrive au même constat avec très peu de sites d’information, médias traditionnels ou sites institutionnels sur les dix premiers résultats et beaucoup de résultats issus des sites des plateformes de veille ou de cabinets de communication ou de consultants.
Seule la requête comparatif outils de veille
fait ressortir un peu plus de résultats issus de sources plus « neutres », en l’occurrence cinq sur les dix premiers résultats.
On accordera aussi de l’attention aux sites, à l’apparence objective, qui se revendiquent comparateur de logiciels mais où ce sont les éditeurs de logiciels qui référencent leurs produits et payent même pour qu’ils soient mieux référencés. Ces comparateurs sont tellement généralistes et peu regardants sur ce qu’ils mettent en ligne qu’ils mélangent tout et n’importe quoi à l’image d’Appvizer qui propose une rubrique « outils de veille concurrentielle et marketing » et qui arrive à mettre sur le même plan SemRush, Digimind et Page2RSS.
Un petit tour sur les plateformes de blogging Medium ou LinkedIn et de Questions/Réponses comme Quora est également intéressant. La majorité des articles publiés sur le thème de la veille sont rédigés par des consultants et un nombre important de réponses sur Quora sont rédigés par des consultants ou des employés de plateformes de veille qui ne s’en cachent pas mais recommandent l’outil de leur société.
Finalement, le seul moyen d’avoir une image claire, précise et fiable des outils de veille sur le marché consiste à ne pas se limiter aux dix premiers résultats, à tester différentes requêtes, croiser un certain nombre de sources de différentes natures pour avoir la liste la plus exhaustive possible, en identifiant des sources spécialisées, expertes sur la veille, en les explorant et en analysant de façon critique chacune des sources et informations.